La banlieue c'est pas rose, la banlieue c'est morose ...

"La Haine" est un excellent film d'auteur français réalisé et sorti en 1995 par Matthieu Kassovitz. Pour son 2ème long-métrage, le cinéaste va observer et scruter un microcosme assez peu représenté au cinéma. Il s'agit de la banlieue. Plus exactement, les quartiers difficiles dits "zones sensibles". Le contexte qui entoure la sortie du film fait état de quinze années de perturbations grandissantes dans les zones urbaines périphériques.
Grand succès critique, il sera couronné du César du meilleur film et du prix de la mise en scène à Cannes. Il a également remporté un franc succès dans les salles obscures pour finalement se voir attribuer le statut de "film culte" (en tout cas pour certains).

Commençons par le sujet du film :
Dans la cité des Muguets, une nuit d'émeutes opposant les jeunes aux forces de l'ordre éclate. Elle fait suite à une bavure policière, lors d'une garde-à-vue, qui avait gravement blessé un jeune résident de la cité nommé Abdel, alors dans le coma.
Le récit se déroule au lendemain de cette terrible nuit durant laquelle un policier aurait perdu un calibre 44 Chromé. Le temps d'une journée, nous allons suivre le quotidien de 3 jeunes banlieusards (Un juif, un africain et un arabe) qui vont vivre la journée la plus importante de leur vie :

° Le 1er est l'imprévisible Vinz au tempérament violent. Il est le personnage principal qui a donné son titre au film parce qu'il est habité et aveuglé par la haine. C'est lui qui s'avère finalement être en possession de l'arme à feu qui a été perdu. Son objectif est simple : si Abdel ne sort pas de son coma, il cherchera à se venger ...
° Le 2ème se prénomme Hubert. Il est tout l'opposé de Vinz : il est calme, posé et se refuse à provoquer la police. Ce jeune aspire à une vie meilleure et ne rêve que d'une seule chose : quitter cette cité. En conflit permanent avec Vinz, il tentera tout pour l'empêcher de basculer vers la haine. Selon Hubert, la haine appelle la haine ...
° Le 3ème c'est le bout-en-train Saïd. Toujours des bonnes histoires à raconter, il prend la vie du bon côté. C'est lui qui tient, en quelque sorte, un rôle de médiateur entre ses 2 amis.

Le cinéaste mélange habilement d'irrésistibles scènes comiques où l'on se prend véritablement d'affection pour ces jeunes qui ont un parler bien à eux. Scènes qui vont permettre des dialogues et situations tout bonnement savoureuses. Puis vient l'irruption de scènes violentes et crues où s'exprime cette haine. Mais pas question de manichéisme. Cette haine, elle est présente aussi bien chez les jeunes que chez les forces de l'ordre. On sent vraiment une tension omniprésente entre ces 2 clans dans une cité au bord de l'explosion où les dérapages peuvent arriver à tout moment. Bien évidemment, elle s'exprime différemment chez chaque individu et de chaque côté. Chez les jeunes : la violence et l'errance du désespoir. Chez les forces de l'ordre, l'agressivité du mépris et de la basse considération envers ces banlieusards.

D'abord tourné en couleur, le long-métrage fut transformé en noir et blanc par choix esthétique. Ce choix fonctionne à merveille. Il permet selon moi 2 choses :
- Rendre la vision qu'ont ces jeunes de leurs vies : c'est-à-dire une vision morose et désespérée, une vie qu'il pense sans avenir, une vie qu'ils considèrent remplie d'injustice (à juste titre, peut-être).
- Ajouter une sorte de réalisme documentaire où le noir et blanc simulerait des images d'archives.

D'ailleurs, le film est divisé en plusieurs parties. Ces parties correspondent à des événements marquants de cette journée. Chaque partie est séparée d'un écran noir sur lequel s'affiche l'heure exacte, ce qui ajoute du réalisme dans l'immersion, suggère une certaine fatalité et monotonie dans le quotidien durant lequel ces jeunes ne sont jamais épargnés. Car oui, "La Haine" est avant tout une oeuvre sur toute une génération. Ce que j'appelle "La Génération NTM". Ces immigrés qu'on laisse pourrir dans des sortes de ghettos : Suite interminable de gigantesques HLM crasseux dans lesquels les gens sont entassés dans des taudis. Toute une génération laissée de côté à beaucoup de niveaux, notamment l'accès à l'éducation donc l'accès au monde professionnel.

En conclusion, une belle réussite française. Matthieu Kassovitz a bien su envisager toutes les potentialités de son sujet pour en faire en film engagé et original ponctué de scènes tantôt comiques, tantôt tragiques. La maîtrise de la mise en scène est ici au service de l'architecture dramatique. L'interprétation bouleversante du talentueux Vincent Cassel et celle des autres interprètes sont sidérantes de réalisme.
Un long-métrage poignant qui aura fortement marqué les années 1990.
Tout simplement indispensable !
TheStalker

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