Contexte historique :
Le film est réalisé par le fils de Gustav Klimt : Gustav Ucicky qui a par ailleurs signé le tout premier film estampillé de l'Allemagne nazie (L'Aube). UFA était à l'époque une grande structure qui produisait sous le régime nazi plétore de films patriotiques, bien qu'elle avait une existence antérieure à la montée du nazisme en Allemagne. Symbole culturel puissant, l'UFA était sous l'hégémonie du célèbre Joseph Goebbels qui validait les films qui sortaient à l'affiche, et qui parfois même mettait son nez dans les scénarios.
Puisque le film La Jeune Fille Jeanne était tourné dans les grands locaux de l'UFA et était soutenu par le régime, Goebbels vint en personne saluer l'équipe du film pendant son tournage. Goebbels considérait ce film comme une pépite, un "film très précieux politiquement et artistiquement". De quoi faire rougir de joie Ucicky, qui ne s'était jamais targué d'être nazi, mais qui réalisa une bonne cinquantaine de films, signant la plupart avec le régime pour des pépètes. Il aura dans son équipe technique des chefs décorateurs et costumiers qui ont travaillé entre autre sur Faust de Murnau et Le Cabinet du Docteur Caligari. On retiendra donc de beaux décors et des costumes assez remarquables !
Le métrage est interdit par le Conseil de contrôlé allié en 1945, et on a cru la bobine perdue jusque dans les années 70 ! On attribue au film l'honneur d'être considéré comme le premier film parlant traitant de Jeanne d'Arc jamais réalisé, et aussi le seul film de cette thématique à être sorti dans les années 30.
Le film est un échec commercial à sa sortie et est rapidement retiré des salles de cinéma. Pourquoi un tel échec ? Pourquoi le Führer lui-même n'apprécia pas l'image de Jeanne d'Arc ? Pourtant, dans un premier coup d'oeil, le film porte toutes les marques du patriotisme nazi, y allant avec ses gros sabots :
- c'est un film anglophobe et même franchophobe : pour les uns ce sont des ennemis stupides, pour les autres ce sont des fous n'ayant pas réalisé que la Sauveuse était dans leurs rangs, la sacrifiant par cupidité et idiotie.
- Jeanne est considérée comme la libératrice du peuple, une figure qui plaît beaucoup au régime. Il est facile de faire le pont entre Jeanne sauveuse du peuple, et un certain bonhomme à moustache qui se dit "proche" de son peuple aussi...
- le nazisme voue une culte aux grandes figures passées, mais voue aussi en sous-marin un culte à son dictateur à travers ces figures baignées de lumière.
- Les Allemands de 1933 sont aux abois d'avoir un sauveur, comme l'étaient les Français en 1429.
- l'oeuvre réécrit allègrement l'Histoire à des fins politiques, transformant tout le monde (à part Jeanne et ses fidèles) en couards vicieux, traîtres et cupides. L'idée évoque un rêve politique germanique qui prend son essort dans les années 30 : celui d'une communauté populaire qui se réunit contre les élites.
Mais voilà... la Jeanne du film est trop pure, trop gentille et peut-être trop fade. Elle ne porte par l'idéologie nationale-socialiste du guerrier prêt à tout pour en découdre. Dans le film, Jeanne épargne un Anglais, elle n'est pas une redoutable égérie nazie. Ucicky voulait surtout faire un beau film, gnagnan et christique, mais avant tout élégant et spectaculaire dans le peu qui est mis en scène. Et il y arrive, le bougre ! Car le film est sincèrement classe, avec un beau noir et blanc, des acteurs qui attrapent la lumière et un montage efficace, malgré les nombreuses ellipses. Ce n'est pas un film épique, c'est un film bavard, mais il bavarde pas trop mal !
C'est probablement le film le plus intéressant réalisé sous le régime nazi, pour le régime nazi, car il porte tous les étendards du régime, promeut l'extrême à travers une figure sanctifiée et laisse l'avant-goût du désastre à venir, tout en échouant à servir fidèlement ceux qui ont payé pour le voir projeté. Car Jeanne d'Arc, sur-représentée, échappe apparemment encore au contrôle politique. A force de trop connaître son sujet, parfois, il nous échappe...
(Le film est disponible en novembre sur outbuster.com et on recommande le coffret d'Artus Films qui contient une super analyse de David Didelot).