La dernière fois où Terence a réussit à me bluffer. Après, il a traversé la ligne rouge. Après ça, il me l’a beaucoup moins donné. Une épopée, une vraie. Enfin un film de guerre récent, qui montre plus qu’il est sensé exposer à la base. Point de héros ici, mais des hommes. Une fable sur la contingence, qui glisse comme un bateau sur l’eau. Un bateau chargé de recrues hétéroclites. Des novices, d’autres plus aguerris. Un bateau chargé de figures. Chacune ses peurs, ses doutes, son destin, ses desseins. Une analyse précise de « natures » humaines. Le casse-cou idéaliste, (Jim Caviezel), Le bon soldat, (Sean Penn), Le colonel froid comme un serpent, (Nick Nolte), et les autres. Tous les autres aussi importants, les uns que les autres, jusqu’au haut gradé qui viendra récolter les lauriers sur le tard, et remettre chacun à sa place. Une sacrée paire d’acteurs, et un casting exceptionnel. Avec de tels egos devant la caméra, soit le réalisateur se couche, et on un bal à la grimace, soit il tient tout le monde bien en laisse, et guide, et eux, et nous dans sa vision, et on a un chef-d’œuvre.
Car on a vraiment l’impression d’une vision, une échappée belle dans la pensé magique, dans une danse dans un décor naturaliste outrancier ; l’omniprésence de la Nature. Belle, hostile, indifférente aux calculs des humains, insensible au feu nourri des canons. Sourde au claquement des mitraillettes qui déchirent le silence de cette île. Une île. L’autre insularité. En plus de l’insularité de l’âme, du soi, de l’autre soit. Solitude. Mystère. Le lieu de tous les mystères, l’île. Peuplé d’indigènes, eux-mêmes indifférents, et hors du champ de l’action. Invisibles, car ils vivent dans un autre espace, et un temps immuable, que rien ne vient perturber. Un temps perdu pour nous, ou même la mort n’existe pas peut-être.
Américains et japonais se disputent l’île, ou plutôt le sommet de la colline. Celui qui domine le sommet, dominera toute l’île. Art de la guerre. Oui mais. Les japonais ont déjà conquis l’île. Ils sont arrivés en premier, et tiennent la position. Ils sont cachés dans un bunker, sont armés jusqu’aux dents. S’attaquer au sommet de la colline, c’est une mission suicide. Tel est le prix à payer. Tel est la valeur du sacrifice. Et la mort « stupide » du personnage joué par Woody Harrelson nous montre la réelle stupidité de la situation. La forêt est luxuriante. Les images sont magnifiques. Mais même un geste anodin peut-être fatal, stupidité qu’elle est belle, voire conne. Aucun manichéisme facile. Ici chacun a ses raisons. La multiplicité des points de vue, habituelle chez Malick, offre une multitude d’univers. Et quand Ben Chaplin pense à a femme, qui l’attend de l’autre côté, c’est nous qui pensons avec lui. Echappée belle. Le reste c’est une longue course vers, ou contre, son destin. Mourir et être remplacé par d’autres. Qui vont progresser d’un mètre. Ou dix mètres…Ou tenir leur position, quelques mètres de gagnés. Rien, tout.
Des zombies sur pattes. Personne ne peut sortir indemne. La guerre c’est le piège dans lequel tombera tout héroïsme, et de façon souveraine. Nous sommes tombés dans un piège. C’est île c’est un piège. Ce film c’est un piège gigantesque. Le meilleur film de guerre de ses dernières années. L’anti soldat Ryan, comme on le présentait à sa sortie. Un dénouement dantesque, qui ne fait pas de cadeau au spectacle. Qui ajoute comme une cerise sur un sac de merde. Après l’enfer du feu, le purgatoire de la défaite. La mort rapide. Une chance. La pourriture. La mort à venir. Et il n’y a plus qu’à prier son dieu, si on en a un. Et chacun est à égalité devant la seule chose qui compte. L’indicible. Le passage d’ici, à l’autre ici. Qu’il parle anglais, ou baragouine un japonais qu’on ne comprend pas. Démuni et démuni, autant que ceux qui sont de l’autre côté de l’écran. Vous aviez des doutes ? Et bien Malick ne laisse aucune place au doute. Une fois pour toutes. Et ça c’est beau.