Alors là, le masqué, il est bien embêté. Car il a très envie de dire plein de choses. C'est que ça se bouscule dans sa tête, à la fin de la séance. Ca faisait belle lurette que cela lui était pas arrivé, surtout en face d'un film français "live". C'est que Behind a été pris par surprise. Pris de court et que d'habitude, sa pensée est beaucoup plus claire.


Behind écrira donc d'abord, dans un cri du coeur, que La Mécanique de l'Ombre, c'est formidable et qu'il faut aller le voir toutes affaires cessantes, parce ce n'est que trop rarement que la production française accouche d'une telle proposition de cinéma, si efficace, si réussie, encore plus étonnante de maîtrise qu'il s'agit d'un premier film. Plus étonnante encore car l'oeuvre renoue avec tout un pan du cinéma des années 70 à tendance politique, thriller, éreintant et immersif. Comme un des films engagés que Costa-Gavras a pu réaliser. Et rien que pour ça, La Mécanique de l'Ombre, il faut le soutenir.


Côté intrigue, le film semble faire un bon dans le temps similaire. Car passé une séquence de souffrance au travail terriblement actuelle, tout ramène ensuite aux films d'espionnage des années 70, tendance Allemagne de l'Est, devant une machine à écrire, un casque et une planque rappelant La Vie des Autres. Le magnétique au détriment du numérique, érigé comme un impératif de sécurité nationale et de contrôle de l'information, accentuant la paranoïa ambiante dans laquelle est plongée un homme quasi anonyme, terne et passe partout, qui ne pouvait emprunter les traits de son visage qu'à François Cluzet.


La première partie du film pourrait apparaître routinière et extrêmement mécanique si le spectateur ne se rendait pas vite compte qu'elle est la première traduction de l'enfermement de son personnage principal, dans des habitudes et un travail d'une autre ère, dans un bureau réduit à sa plus simple expression, dans des réunions d'alcooliques anonymes, et victime d'un cloisonnement de l'information, orchestrée par son bien mystérieux patron. Cet isolement vient aussi du son. Celui des voix imprimées sur les bandes magnétiques et passant par le casque de celui chargé de les retranscrire. Celui des frappes de la machine à écrire.


Au point de penser, au fur et à mesure qu'il déroule son intrigue, que le film jouit d'une mise en scène millimétrée, implacable, mettant en place une tension montant doucement, tout en serrant l'estomac dans un crescendo parfois vertigineux. Car de petite main anonyme, Cluzet devient le jouet des puissants et des officines, des barbouzes et des secrets d'état. D'enfermé, il devient littéralement écrasé par des enjeux qui le dépassent et jetant sur lui des ombres constamment menaçantes. Le spectateur, lui, se recroqueville dans son fauteuil, tendu, pris à la gorge, comme François Cluzet qui s'enfonce, un parpaing attaché aux pieds, dans les eaux sombres d'événements hors de son contrôle et dans un suspens éperdu, haletant, magnétique.


Et tout cela sans aucune scène d'action, presque sans coup de feu. Uniquement par l'installation d'une atmosphère oppressante et paranoïaque, animée de méthodes inavouables et de mobiles douteux, qui réussit à matérialiser sa surveillance menaçante par une simple feuille de papier posée sur la machine à écrire.


Cette formidable réussite ne sera qu'à peine amoindrie par un final un poil convenu, alors qu'il dessinait


une trahison, un recrutement auquel on se refusait à penser, une finalité terriblement terre à terre et bassement politique.


Minuscule défaut devant une si formidable tension ressentie, aussi rare que précieuse aujourd'hui, au sein d'une production française calibrée, aseptisée, timorée.


Behind_the_Mask, qui bande... Magnétique.

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le 12 janv. 2017

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