La première partie est captivante. La voix off est douce et prenante. Le montage superpose des plans muets, la parole off et des inserts en temps réel. Ces effets créent un vrai sentiment d'immersion. On entre dans l’œuvre sans effort (sans effort, c’est précisément ça qu’il faudra retenir).
Mais le charme se fissure rapidement. Les personnages donnent l’impression d’être conscients d’eux-mêmes. Le réalisateur multiplie les clins d’œil pour montrer qu’"il sait que nous savons". Comme s’il voulait désamorcer la critique du "film bobo". Les personnages sont alors détestablement "self-aware": l’aveu de richesse via le chalet, la conversation sur l’aspect queer du roman, la séance finale avec le psy, ou encore l’idée que le film lui-même est le récit du récit qui nous est raconté. Tout devient signal, balise critique intégrée au tissu narratif. Le film vit dans une bulle de bienveillance et pour éviter un regard critique sur cette bienveillance qui renvoie à un imaginaire libéral progressiste, il martèle sa propre lucidité. Je suis self aware.
La seconde partie est en perte de vitesse. Le récit n’a plus de matière et se tourne vers le commentaire du commentaire. Exemple frappant, la professeure et la mère commentent le récit de la fille. L’image se fige, puis la fille prend la parole et commente le commentaire de la prof. À partir de là, l’histoire n’existe plus que comme matière pour son propre décryptage.
Deux plans se distinguent néanmoins. Le premier montre une plante qui se déploie dans l'eau, fragile et inquiétante, qui condense en quelques secondes l’ambiguïté de la relation. Le second a lieu dans la forêt. La grand-mère et sa fille discutent, elles quittent notre champ de vision, le silence revient, la caméra continue. Encore un signal (simplet, oui), mais cette fois nettement plus intéressant. L’histoire paraît importante quand nous sommes là pour l’entendre, mais en dehors de nous elle s’efface. Nos histoires sont banales, le monde existe sans nous, sans attendre nos récits pour continuer (on peut lever les yeux au ciel mais j'ai trouvé que c'était une idée honnête). On retrouve un geste semblable dans La Caméra de Claire de Hong Sang-soo. Deux femmes marchent, sortent du cadre, la caméra persiste. La différence se joue dans le temps. HSS laisse tourner son plan "vide" vingt-quatre secondes. Ici, la coupe arrive beaucoup trop tôt. La marque des petits. (Ceci dit, chez HSS ces vingt-quatre secondes n’ont pas la même vocation interprétative.)
On revient donc à ce que l’on avait pressenti dès l’ouverture. Rêves s’avale sans effort, c’est un film douillet et confortable. La première gorgée me ramène à mon tout premier matcha latte, présenté dans un joli mug transparent, au Columbus Café gare Montparnasse, bien chaud, rond, rassurant. Puis vient la révélation. Ce qui reste en bouche ressemble moins à une boisson tendance qu’à une soupe de poireau tiède.