Evidemment, La Voie Royale touchera tout particulièrement au cœur ceux qui ont fait une grande prépa exigeante, qui en ont bavé en trimant 70 heures par semaine (35 de cours, et 35 de travail personnel, comme le souligne justement le doyen dans le film) et ont sacrifié deux – voire trois – ans de leur vie sur l’hôtel du Saint Concours.
Le réalisateur suisse Frédéric Mermoud avait été remarqué pour son premier long Complices – (un polar déjà centré sur la figure d’une lycéenne, qui tombant amoureuse d’un prostitué) ou encore en 2016 pour Moka, avec Emmanuelle Devos et Nathalie Baye en tête d’affiche.
Pour ce film, il lui fallait un premier rôle solide. Son choix s’est porté sur Suzanne Jouannet, que l’on avait découvert dans le rôle de Mila dans Les Choses Humaines d’Yvan Attal (et qui est actuellement à l’affiche de L’Epreuve du feu). J’ai trouvé que la jeune fille avait une palette de jeu incroyable : solaire, obstinée, fragile mais déterminée, elle peut être intense mais également faire transparaître de gros moments de doute. Le réalisateur explique : « Je voulais trouver une Rosetta, même si je n’allais pas la filmer à la façon des frères Dardenne ! Je cherchais une sorte de petit taureau têtu, avec une énergie folle ». Suzanne Jouannet tient sans problème le film sur ses épaules. Sa nomination aux César comme meilleur espoir féminin est tout à fait méritée. Fait plutôt cocasse, c’est finalement Ella Rumpf qui a remporté la statuette cette année-là pour son rôle dans Le Théorème des Marguerite où elle campait… une brillante élève de Mathématiques à l’ENS !
Le scénario n’est pas d’une grande originalité, mais est plutôt bien ficelé. En tout cas, il a su me surprendre dans son dénouement. On suit la jeune Sophie, une lycéenne brillante qui aide par ailleurs ses parents à la ferme, spécialisée dans l’élevage de cochons. Elle leur donne du foin avant d’aller en cours, elle remplit des demandes de subventions après. Poussée par son professeur de mathématiques, Sophie l’intello décide de ne pas faire comme son frère, qui a quitté tôt les études pour aider ses parents à la ferme, mais de viser grand. Elle intègre le prestigieux lycée Descartes (fictif) en prépa MPSI (maths – physique). Elle y retrouve des élèves brillants formatés pour devenir l’élite française. Elle, c’est la « diversité », et elle doit lutter fort contre cette image de campagnarde rêvant d’ascension sociale. Alors qu’au lycée, elle était la meilleure de sa classe, la voilà rapidement en difficulté, entourées de tronches pensantes. Pour réaliser son rêve – intégrer l’X, Polytechnique – l’acharnement et le travail appliqué ne suffisent plus. Pour citer sa professeure de physique, il lui fait également « la grâce », abolir ses frontières mentales qui l’empêchent d’exprimer son plein potentiel.
Malgré des thématiques vues et revues au cinéma – le malaise du monde paysan, l’exceptionnelle pression mentale exercée sur les étudiants, les amours naissants, l’ambition de changer ce monde dominé par le pouvoir et l’argent – ainsi qu’une réalisation un peu quelconque et sans panache, La Voie Royale captive son public et s’en sort avec les honneurs. La grande réussite du film est de ne pas faire du personnage de Sophie une victime, une jeune fille arrivant de sa campagne et totalement déboussolée dans un monde élitiste hostile. Au contraire, le film montre une vraie camaraderie entre les étudiants, qui ne sont pas en compétition les uns avec les autres mais se soutiennent et s’entraident.
Certains diront que le film caricature dans le tableau qu’il peint des prépas. Je m’y suis pour ma part complètement retrouvé. Beaucoup d’éléments – le travail acharné, le manque de sommeil, la pression des concours, les camarades qui craquent et abandonnent en cours d’année – ont marqué (et pas dans le bon sens) mes propres années de classes prépa. Pour une thématique cinématographique aussi éculée que les hautes études, La Voie Royale tire indéniablement son épingle du jeu.