Second film de fiction d'Aleksei FEDORCHENKO, cinéaste russe quasiment méconnu en France, Le dernier voyage de Tanya est un film rare, une pépite poétique qui tranche considérablement avec le paysage cinématographique actuel plutôt conformiste.

Dans une contrée des rives de la Volga subsiste le souvenir prégnant d'un peuple qui, assimilé par les russes, a disparu il y a près de quatre cent ans : les Mérias. Fortement attaché à leur mémoire et leurs coutumes, Aist est photographe dans une usine de papier. Un matin, son ami et patron Miron lui annonce la mort de sa femme et lui demande de l'accompagner sur le lieu de leur lune de miel où il souhaite l'incinérer. Ils préparent alors le corps selon la tradition et prennent la route, accompagnés d'un couple d'oiseaux qu'Aist vient d'acheter. Le périple qui commence est un voyage vers l'acceptation de la mort doublé d'une quête des origines. En effet, dans leur adieu à Tanya, Aist et Miron convoquent les rites ancestraux Mérias. L'enfance d'Aist dont nous découvrons des fragments en est également imprégnée, notamment avec l'importance de l'eau liée à la mort. Nous sommes plongés dans cet univers singulier par de longs plans envoûtants où les espaces, les paysages, sont froids mais les corps chauds, brûlants dans la mort ou la passion charnelle. D'ailleurs, même le cadavre de Tanya semble encore tiède, vivant et sa présence à l'esprit des deux hommes faisant le deuil d'un amour ne s'en fait que plus ressentir. Aleksei Fedorchenko filme ses personnages avec sensualité et humanité, que ce soit dans les instants présents ou dans leur passé. On sent le poids de leur tristesse et la mélancolie émane des plans. Le silence qui les entoure exprime cela mieux que toute chose, parfois rompu par l'un des rites qui consiste à parler du mort, à raconter des souvenirs qui le concernent, ce qui est fait ici d'une façon crue qui contraste avec l'atmosphère feutrée des plans. Le thème du passage de la vie à la mort est décliné non seulement grâce aux coutumes funéraires, mais aussi par une multiplication d'images métaphoriques telles que la barque, le pont qui suit le mouvement de l'eau et du vent, le bac qui les fait traverser la rivière... Les deux personnages, dans leur voyage funèbre pour Tanya puis leur errance, sont toujours ramenés à l'eau, comme si leur destin était de rejoindre les êtres aimés qu'ils ont laissé aux flots. La musique, discrète et belle, participe à l'étrangeté du film et laisse le spectateur créer ses propres émotions. De fait, tout dans Le dernier voyage de Tanya prend une valeur musicale : l'eau qui s'écoule, le piaillement des oiseaux, le crépitement du feu et même les silences. Le cinéaste nous montre une Russie tout autre que celle que l'on a l'habitude de voir, une Russie poétique imprégnée d'une mémoire des peuples et du sacré.

Etrangement, le film semble suivre le même schéma que Les Oiseaux d'HITCHCOCK ! Un couple d'oiseaux (des passereaux ici) est acheté dans une animalerie avant d'être transporté en voiture vers une destination inconnue. Ils deviendront finalement aussi meurtriers que ceux d'HITCHCOCK, causant la mort des deux personnages principaux. Ils en sont comme les doubles, en beaucoup plus bavards, exauçant finalement leur idéal de mort en les rendant au fleuve.

Le dernier voyage de Tanya est un film doux et poétique qui, par la beauté des cadres, de la lumière et par la sensibilité de sa mise en scène porte un regard singulier sur les traces qu'une culture peut laisser ainsi que sur l'amour de ces deux hommes pour une femme.
Elenore
7
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le 4 déc. 2010

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