Dans Le Miroir, il y a d'abord le plus évident : un jeu d'opposition, un jeu de ressenti entre la froideur d'une eau glacée et la chaleur du feu. Cette eau et ce feu reviendront d'ailleurs à plusieurs reprises dans l’œuvre et le rythment comme une langueur un peu monotone.

Derrière son allure de lyrisme prétentieux, Le Miroir c'est avant tout une histoire d'amour non seulement d'une femme pour un homme, mais aussi d'un réalisateur pour son pays, car ce qui marque ce film c'est la déclaration d'amour déclamée par l'enfant, une lettre en témoignage d'affection d'un homme pour sa patrie qu'il décrit comme forte, belle, puissante; une barrière entre l'orient et l'occident, représenté par le passage où les chinois armés du petit livre rouge du communisme sont bloqués par une barrière de soldats impassibles, une croyance également envers "la toute puissante Russie" qui sera toujours ce qu'elle est car son peuple est russe et qu'elle est protectrice de toute l'Europe.

Une place toute personnelle est donné à la mère, une mère jouée par plusieurs personnes, dans plusieurs places, et à plusieurs ages, comme une mère qui rassure, qui éduque et qui veille. D'ailleurs si on s'y intéresse justement, on remarque que la place de la femme est centrale avec du fait de la guerre une quasi-absence d'hommes, ceux-ci étant en guerre, elles apparaissent donc fortes, particulièrement l'héroïne presque menaçante à certains égards.

C'est également un parallèle plus personnel qui est fait, puisqu'en réalisant ce film, Tarkovski sait déjà qu'il va devoir s'exiler pour s'être opposé au régime stalinien d'alors et les images d'exil des espagnols pendant la guerre civile, font tout simplement écho à sa propre situation qu'il vit à la vue de son témoignage comme un crève cœur cette séparation, communiquant sur sa propre peine. En guise de pique néanmoins il critique Staline au travers de son gout pour la mégalomanie, faisant écho à un épisode réel dès les premières scènes : une erreur dans le nom du dictateur dans un journal aurait été mal vu par ce dernier et se serait mal terminé pour le journaliste responsable, prit d'une crise de panique alors l'héroïne elle-même journaliste court à sa maison d'édition chercher frénétiquement ses épreuves dans le but de les corriger; une dernière critique au gouvernement.

En bref, le miroir est un titre qui a plusieurs sens : d'une part dans sa mise en scène, entre le noir et blanc du passé et la couleur du présent et du futur, les deux colorisations se font en écho renforcés par la présence de l'eau qui coule comme le temps qui passe (un thème récurrent) et du feu qui consume le passé, c'est également toujours ce parallèle entre lui perdant son monde et ces réfugiés de guerre qui ont dû fuir leur terre pour un monde qui les effraie. C'est donc une œuvre bien plus personnelle qu'il n'y parait, parallélisant l'amour recherché par l'héroïne, un amour lointain, que celui de cette moscovite exilée en campagne souffrant de cette situation, un peu comme Tarkovski qui prévoit déjà de s'enfuir.

Petit fait sympathique, Dans l'une des scènes, de façon à ancrer son œuvre dans des repères temporelles, Tarkovski va filmer l'intérieur de l'appartement du protagoniste et va donner comme principal repère de temps l'affiche française d'un autre de ses longs métrages : Andreï Roublev sous-titré en français dans le texte "un film d'Andreï Tarkovski" et sorti en 1969 soit quelques années avant le temps considéré dans Miroir à savoir 1974.
Crillus
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le 1 avr. 2014

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