Et Oui bonne question : pourquoi risquer sa vie sur les hauteurs de l'Everest ou d'autres cimes tout aussi dangereuses, en hiver, dans le froid et la neige, sous les avalanches et en pleine tempête ? Si ce n'est de s'abriter sur de tout petits aplombs, en gardant ses jambes pliées pour éviter que les chutes de pierre ne vous condamnent définitivement.


En adaptant le manga de Jirô Taniguchi, qui lui même adapte le roman de Baku Yumemakura, Patrick Imbert, prouve une grande maîtrise artistique et nous incitera à connaître les matériaux d'origine et ses inspirations, Masaru Morita et Tsunego Hasegawa.


Si l'enquête de Fukamachi, un jeune journaliste en quête de scoop, sert d'introduction, d'autres personnages émaillent le récit par flashbacks -au départ déstabilisants-, avant de nous laisser emporter définitivement par les temporalités. Les fantômes du passé et de ceux qui auront marqué, ou pas, l'histoire de l'alpinisme, chaque personnage marque sa détermination ouvrant tous les possibles aux plus courageux. Chacun se voit investi de sa mission à la limite de l'obsession, et nous à l'instar de Fukamachi, nous nous laisserons mener à la conquête des sommets avec quelques inquiétudes, en vérifiant la toute relative importance de l'homme face à la nature.


Fukamachi retrouve par hasard la trace d'un vestige d'une grimpe de 1924, qui mettrait à mal le succès officiel de 1953. Le mystère Mallory et la disparition réelle de son appareil photo et de la preuve qu'il contiendrait, tient d'ancrage au récit, pour introduire, le peu commode Habu, grand alpiniste traumatisé, disparu du jour au lendemain. Fukamachi partira à la recherche de cet homme, qui semble en possession de l'objet tant convoité. On navigue alors entre histoire vraie et fiction, aux personnages en quête de sens existentiel, dans un environnement propice à exercer le talent du dessinateur.
Coloré avec quelques inserts en noir et blanc pour rappeler au documentaire, ce sont bien toutes ces alternances de couleurs passant du blanc, au gris et au bleu nuancés, à retranscrire un environnement menaçant et pourtant sublime et les scènes de montagnes se suffisent à elles seules. L'immersion par les bruitages nous fait craindre bien souvent la chute. Le vent qui souffle, le craquement de la neige sous les pas, les souffles d'épuisement et les corps qui se hissent difficilement, le tonnerre et le fracas d'une avalanche, et alors que les expressions et les visages de nos aventuriers peuvent décevoir, leurs personnages emportent l'adhésion.
Habu attiré comme un aimant par son sommet, quitte à y laisser la vie, résume à lui seul, cette obsession de l'homme à dompter la nature, si ce n'est que son personnage cherchera plutôt à s'y perdre, comme un acte ultime à sa quête de rédemption, ayant dépassé depuis longtemps la vanité des hommes, mais nous rappelant que tout a un prix.


Avec le très bon choix de la musique entre sonorité des tambours à introduire une scène et relancer la dynamique, à celle plus onirique pour marquer l'angoisse d'une mort et d'échec à venir, l'ensemble procure pourtant, un agréable sentiment de plénitude. Lors d'une grimpe où toute la concentration est de mise, le silence s'invite et on est séduits par ces plans vertigineux rendant toute sa majesté à une nature magnifique et impressionnante. Quelle sensation réaliste et puissante de se trouver sur ce sommet des Dieux, seul, au-dessus des nuages, se laissant emporter par un sentiment, léger mais jouissif, de vertige.


Si nous n'aurons pas toutes les réponses, restera ancrée la solitude de l'homme face à la montagne, semblant bien moindre que celle de celui qui n'aura pas trouvé sa voie, si vaine soit-elle.

limma
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le 19 janv. 2022

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