On va encore trouver que je pinaille sur les titres mais quand même. D'abord le film : en français, "le" au lieu de "un" dans la VO (A time to love and a time to die). Pourquoi fixer le temps alors que l'idée initiale est l'intemporalité de cette histoire qui se passe à un moment quelconque du temps de la défaite de l'Allemagne nazie, dans un lieu quelconque avec des gens quelconques.

Ensuite le film en VO par rapport au roman de Remarque qui est "un temps pour vivre, un temps pour mourir (Zeit zu leben und Zeit zu sterben). Le caractère indéfini est bien respecté entre roman et film. Par contre, il y a un changement majeur dans un des verbes employés. Sirk remplace "vivre" par "aimer". Sachant que Remarque a participé au tournage du film, je suppose qu'il y avait accord entre eux. Et cette modification m'émeut car Sirk, le romantique, a juste poussé le raisonnement au bout de la réflexion. Remarque, le pacifiste, avait opposé la mort à la vie. Sirk en rajoute une couche. La vie, c'est l'amour ou plutôt, il ne peut y avoir "vie" s'il n'y a pas "amour".

Et le film est un vibrant chant d'amour comme l'est le roman, extraordinaire, de Remarque mais j'aborderai ce sujet lors de ma critique du roman à venir. Mais il n'est pas que cela, c'est une dénonciation en règle de l'absurdité de la guerre.

L'histoire raconte la permission de trois petites semaines d'un soldat, Ernst Gräber, du front russe de retour dans une petite ville allemande qui va, à sa grande stupeur, retrouver une Allemagne sous les bombes en 1944 quasi exsangue. Il retrouvera une jeune fille, Elisabeth Kruse, fille du médecin de famille qu'il épousera avant de repartir au front.

Autant Sirk que Remarque, ils n'ont pas vécu cette guerre. Mais il est important de savoir que Sirk était parti d'Allemagne en 1937 laissant une ex-épouse favorable aux nazis et un fils, qu'il lui sera interdit de revoir, qui sera porté disparu sur le front russe en 1944. Quelque part, dans ce film, il raconte les dernières semaines – imaginaires – de son garçon. Autant dire qu'il y a mis tellement de ses tripes dans ce film, qu'il a même amené Remarque à y participer dans le rôle du professeur Pohlmann, un universitaire viré par un de ses anciens élèves Binding, devenu dignitaire nazi. C'est la seule fois, à ma connaissance, que Remarque joue dans un film tiré d'un de ses romans. Quand dans le film, il est fait référence d'un vin "grand cru" de 1937, je n'ai aucun doute sur l'allusion au fait que c'est l'année de son départ d'Allemagne.

Ce qui me frappe toujours dans ce film dont je ne compte plus les visionnages, c'est l'absolue volonté des deux jeunes gens de s'extraire de la guerre et de vivre une vie normale. Le père d'Elisabeth est dans un camp de concentration, les sirènes d'alerte ne cessent d'hululer mais Elisabeth fait pousser du persil sur le rebord de sa fenêtre. Ernst veut marquer le coup en invitant sa jeune épouse dans un restaurant improbable de grand luxe où il croise des nazis et des SS (qu'il ne voit pas) : cette scène, magnifique avec quelques aspects jubilatoires, est comme une bouffée d'air pur vers un monde meilleur peut-être, vers un monde qui n'aurait jamais dû changer si les gens avaient été un peu plus raisonnables. On retombe sur 1937, année du fameux grand cru.

J'adore la scène de la bouteille d'alcool que Ernst veut déboucher "à la bidasse" en tapant sur le cul de la bouteille. Mais ne sachant pas si bien faire, il lâche la bouteille qui va atterrir dans la cour provoquant l'hilarité des deux jeunes gens et l'hilarité communicative du spectateur.

La volonté de vivre ! Comme cet arbre à moitié arraché, à moitié mort mais qui fleurit en avance "probablement à cause de la chaleur dégagée par la bombe".

Et dans la scène – déchirante – où Ernst est abattu alors qu'il vient d'apprendre qu'il sera père, le printemps est là avec ses fleurs qui ne demandent qu'à éclore. Sublime.

La volonté de vivre se retrouve aussi lors de la rencontre d'Ernst avec son ancien camarade Binding devenu un ponte nazi qui vit fastueusement dans une grande villa ; lui aussi, Binding, ancien cancre, use de son pouvoir pour vivre de mille plaisirs et pour se venger bassement de ce professeur Pohlmann qui avait osé le virer. Binding s'est fait "plaisir" en le virant à son tour. Et quand Binding constate et dit à Ernst "tu es des nôtres", le poids de la responsabilité collective et individuelle qui commence à l'accabler lui fait répondre "oui, j'imagine". Le prolongement de cette discussion qu'il aura ultérieurement avec le professeur Pohlmann lui confirmera l'absence d'issue, la responsabilité de chacun mais aussi que, l'Histoire purgée, l'avenir reste toutefois possible.

Parlons brièvement casting pour dire que John Gavin avec son air grave et résolu et Liselotte Pulver avec son charmant accent et son rire magnifique sont une merveille.

"Un temps pour aimer et un temps pour mourir" n'est pas un bon film, non, c'est un chef d'œuvre du cinéma.

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le 17 juil. 2022

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JeanG55

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