Le Voleur et le Cordonnier
7.7
Le Voleur et le Cordonnier

Long-métrage d'animation de Richard Williams (1995)

Le Voleur et le Cordonnier, c'est un de ces films que l'on découvre notamment grâce à (ou à cause de) sa réputation de film maudit, à la fabrication étalée sur une trentaine d'année et jamais vraiment achevée, le projet ayant été monté, démonté, remonté, étant passé par tellement de versions différentes et plus ou moins étranges, et qu'une fois qu'on tombe dessus, dans une version incomplète mais sans doute plus proche de ce que le réalisateur avait en tête, on se dit qu'on est vraiment passé à côté de quelque chose de grand.


Qu'on ne s'y trompe pas, derrière l'allure du synopsis qui pourra sans doute laisser le spectateur s'attendre à un conte des mille et une nuits sans grosse prétention, se cache un dessin animé hallucinant dans tous les sens du terme. Une expérimentation détonante au sein du domaine de l'animation, une merveille aussi délirante que stupéfiante.


Le trip dessiné de Richard Williams fait la part belle à une galerie de personnages tous plus sympathiques les uns que les autres, à commencer par notre cordonnier, prénommé "Clou" (Tack en VO, donc), toujours avec deux clous dans la bouche et donc constamment muet, et très attachant. Il y a aussi une princesse, dont les goûts vestimentaires pour les tenues au ventre apparent pourront rappeler une certaine Jasmine, probablement un peu trop sensuelle pour les enfants, un vizir tout bleu, diabolique et génialement incarné par maître Vincent Price, un calife obnubilé par les trois boules d'or qui veillent sur son peuple et parlant d'une prophétie, des méchants monstrueux, pas beaux et très méchants, et au milieu de tout ça, un voleur malodorant, obstiné, et très malchanceux.


Tout ce beau monde au service d'un film qui donc, par le fait qu'il soit resté au stade de l'inachevé en ce qui concerne la version voulue par son auteur, et dont la Reccobled Cut faite par des fans tente de rendre justice mais incluant donc des passages seulement en animatics et en storyboards, est quelque peu confus dans le déroulement de son histoire, mais ce n'est pas ce qui importe le plus tout compte fait, puisque Le Voleur et le Cordonnier est surtout l'occasion pour Richard Williams et son équipe de dessinateurs de nous sortir un trésor d'imagination.


Beaucoup de scènes voire de plans font preuve d'un sens de la créativité rarement vu au sein de l'animation et certaines séquences en deviennent proprement hallucinantes, jouant à merveille sur les illusions d'optique, les perspectives et autres jeux de profondeur, à l'image de cette savoureuse course-poursuite entre les deux personnages du titre au sein du palais, avec des décors faits de noir et de blanc, une grande prouesse visuelle. On adhère ou non au design mais la maîtrise est absolue et la mise en scène parfaitement ambitieuse. Le travail créatif se ressent aussi sur l'inventivité des situations, joyeusement farfelues et tellement imaginatives. Jouant d'un visuel déjanté pour en découler des gags vraiment drôles, le film est un pur régal de ce côté.


Preuve en est, le personnage du voleur absolument génial dans son obstination, prêt à se mettre dans les situations les plus périlleuses pour atteindre son but, et qui pourra évoquer un certain Vil Coyote dans ses tentatives pour récupérer les trois boules d'or (ce qui n'est pas anodin, son animateur Ken Harris ayant été l'un des animateurs fétiches de Chuck Jones), car outre la malchance rivalisant avec celle du Carnivorous Vulgaris poursuivant Bip-Bip, le voleur déploie aussi une grande imagination, et nous délivre au passage la meilleure référence possible à Chernabog de Fantasia, le temps d'une hilarante scène. D'ailleurs, lui et le cordonnier ont cela de commun que malgré leur mutisme, l'expressivité de leur animation fait parfaitement l'affaire pour leur faire dégager des émotions, l'un n'en est que plus hilarant, l'autre que plus attachant.


Et le final est une grande apothéose pour le délire ambiant, s'achevant sur une longue réaction en chaîne d'une inventivité à toute épreuve, aussi bien dans le visuel que dans la mécanique de la réaction en elle-même, là où d'ailleurs, la malchance de notre voleur se tournera finalement en une incroyable chance vu tout ce qui se trame autour de lui, sans qu'il ne s'en soucie plus que cela. Tout ce qui compte pour lui c'est le larcin, jusqu'à la toute dernière seconde du métrage.


Franchement, quel regret de ne pas pouvoir profiter d'une version complète, car Le Voleur et le Cordonnier est un dessin animé dont la grandeur est tout à fait capable de rivaliser avec les plus grosses pointures de l'animation. Un petit bijou de créativité hallucinatoire, un OVNI comme il n'y en a pas deux. La Recobbled Cut étant disponible sur YouTube, je vous recommande chaleureusement l'expérience, elle en vaut totalement la peine.

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le 21 mars 2018

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Nick_Cortex

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