Chez Miyazaki, tout est question d'ambivalence. Il est difficile d'établir une frontière entre sa ligne de conduite évidente et son côté inaccessible. Des rêves rattrapés par des peurs ou utopies jonchant sur des retours à la réalité.
Si Le Voyage de Chihiro est si particulier et déroutant, le film n'oublie pourtant pas ses étapes fondatrices. Miyazaki force l'appréhension avant l'émancipation. Chihiro est d'abord impuissante, face à un monde qui lui impose la disparation de ses parents. La fillette de dix ans va petit à petit faire l'autopsie des siens transformés en cochons... Ouais ces images de porcs gavés sont quelque part choquantes. Elles ne quitteront pas nos têtes. Société de consommation, condition féminine, deuil, écologie, Miyazaki est capable de se montrer très terre à terre. Le final sera plus aérien à la Porco Rosso.
Vous l'avez compris, l'altruiste Miyazaki va jouer sur tous les tableaux. La sorcière Yubaba représente les méandres voulu de son réalisateur. Son avarice montre le capitalisme mondial et son côté mère poule rappelle le conformisme aux traditions japonaises. Le succès planétaire du film est parfaitement adapté à ses idées confrontés. C'est ce qui le rend formidable. Parallèlement, Chihiro ne sait pas si elle doit s'identifier à une idéologie ou s'effacer comme le Sang-Visage. Nous sommes comme la petite héroïne, des Pinocchio trimballées dans un parc fantôme à thèmes.
Entre temps, Miyazaki fait part de nos fantasmes en permanence grâce à sa qualité d'animation. La beauté esthétique ne s'arrête pas à des personnages soignés. Il suffit de regarder les multitudes de détails graphiques au travail d'arrache-pied. Les pointes de crayons aux couleurs prononcées ajoutent un charme encore plus poussé que Princesse Mononoké. Une admiration pour le visuel, à laquelle s'ajoute la bande son suprême d'Hisaishi. Le studio Ghibli à donc deux virtuoses, à la fois pour la réalisation et la baguette musicale.
Cette oeuvre se parachève comme un tunnel à son commencement. Et c'est là où je vous quitte aussi, avec une note forcément très haute. Haku reste une énigme, il y a quelque chose d'impersonnel qui m'échappe encore dans le Voyage de Chihiro. Ce n'est qu'un infime ruisseau au milieu d'une intrigue artistique sensationnelle.