Considéré comme un monument du cinéma. À son époque son succès fût accompagné par le scandale inévitable dut à son propos, mais aussi à sa portée artistique. Une oeuvre qui bénéficie d'une modernité exaltante, d'un scénario profond bénéficiant de multiples lectures, d'un réalisateur hors du commun, d'acteurs en état de grâce. Un chef d'oeuvre, le 7ème art dans toute sa splendeur. Ou comment réussir à trouver l'équilibre entre toutes les composantes nécessaire à la création d'un film, et ainsi rendre la lecture du cinéma profonde et mystique.

La réalisation est sublime, les plans sont parfaits. Le rythme et conservé, aucun relâchement. Elle est menée de main de maitre. Elle est en tout point parfaite. Éclairage, mise en scène, construction habile des plans et recherche d'une expression parfaite. Un chef d'oeuvre abouti. Les acteurs sont parfaits, tous dans leurs rôles, mention spéciale à Karlheinz Böhm, qui habite ce rôle. Vraiment de très bons jeux d'acteurs. Les plans comportent souvent plusieurs échelles de vision, premier plan ou fond de l'image. Mise en scène évocatrice, annonciatrice. Mise en place du suspens et de l'horreur, de la terreur.

Le Voyeur raconte comment un homme, traumatisé depuis sa plus jeune enfance essaie de combler cette douleur, ce sentiment, ce besoin qu'il a depuis. Son père, scientifique, s'est servi de lui comme cobaye pour ses recherches sur la peur, en commençant à l'enfance. Ce dernier le filmé durant ses expériences. Dans cette continuité, le malheureux tue des femmes en les filmant son but étant de capter la peur la plus atroce. Sa volonté est de mettre en situation ces femmes et ensuite de les tuer, l'instant avant la mort, le moment fatidique se révélant être le fruit de sa volonté. Il ne recherche aucune excitation. Il veut devenir cinéaste et veut capter la plus fine réalité, l'essence de cette horreur dans ses victimes.

Cette recherche est due à ce que lui a fait subir son père. Il l'a transformé en une sorte de voyeurisme de la terreur. Même si au cours du film on voit que tous les éléments de la vie nécessitent pour lui un regard caméra. Une recherche qu'il veut artistique, mais son sentiment à l'égard de ce qu'il fait semble plus correspondre à ce besoin de capter ce qu'il ne peut ressentir. Le contact avec les autres, hormis dans son but meurtrier, est douloureux pour lui, il est craintif, il a peur. Il est tout simplement traumatisé. Ceci n'excuse, ni n'explique son besoin de meurtre. Cependant il ne tue pas par plaisir, ni par je ne sais quelle volonté vicieuse, c'est un procédé cinématographique pour lui. Quand il regarde le meurtre de l'actrice, il est soudain pris de désespoir car la scène ne correspond pas à ce qu'il ambitionnait. Les pratiques vicieuses de son père se sont reportées sur lui dans un besoin de capter la vie, capter les sentiments et les gens, sa caméra étant son arme et ses yeux.

Car il est en permanence avec sa caméra, il filme tout, du meurtre à la découverte du cadavre, ce moment là cherchant à capter l'horreur des personnes terrifiés par la vue de son crime. Il filme aussi les vitrines de magasins, les gens qui s'embrassent, les gens tout simplement. La caméra est son oeil, c'est le paroxysme du travail permanent du cinéaste, capter la réalité, capter l'essence de la vie, la prendre au piège dans cette machine. Le scénario du coup est sans doute scandaleux, ou inintéressant pour certains, mais cette double lecture, cette histoire horrible est l'exagération de la démarche cinématographique, c'est une métaphore. Quelque part le cinéaste, le cinéphile est un voyeur. Nous somme des voyeurs de cet homme. Un cercle vicieux. À cela près que cet homme souffre, il est malade il ne peut se défaire de ce besoin qui est source de contrariété chez lui, source d'angoisse encore plus. Il est conscient de sa maladie.

Ironie du sort la seule à sentir sa vraie nature est une aveugle. Au son de ses pas qu'elle entend, elle sent qu'il est coupable de quelque chose, elle sent qu'il a quelque chose à cacher, qu'il étouffe son âme. Il va la terrifier en la filmant. Une jeune femme, qui s'intéresse à lui, semble parvenir à le sortir de ce terrifiant besoin. Mais la fin est irrémédiable et dès son enfance il est condamné. Sa recherche a une fin irrémédiable, sa propre mort, sa fin, filmée, par lui même.

Malgré le fait que son intérêt soit de filmer, la musique est primordiale. Quand il projette ces films, il les a mis en musique, toujours la même, qui évoque la terreur et qui rythme son oeuvre. Cela vient du fait que son père enregistrait ses bruits de terreur qu'il a conservé, et qu'il écoute, troublé. Du coup il ne garde pas les bruits de ses victimes, il transpose la musique, la preuve d'une volonté cinématographique.

N'importe quel réalisateur est un voyeur, n'importe quel spectateur l'est tout autant. La volonté, le besoin de voir un film c'est une volonté primitive de capter la vie des autres, de la connaître et de la transposer. Et par cet intermédiaire retrouver ce qui nous trouble, nous touche le plus. Pour lui c'est la terreur, la peur, c'est un homme effrayé dont la caméra se révèle être son rempart contre l'existence, regarder par l'objectif le fait se sentir en sécurité. Il a sans doute l'impression de pouvoir observer impunément. Ce film est une métaphore, une figure de style, du cinéma, c'est le miroir du cinéma. La représentation de ce qui en est l'essence par le biais d'une histoire sadique, mais qui correspond à une pulsion, à un besoin pour quiconque recherche l'image parfaite. C'est sa façon d'être satisfait. Sa recherche est d'un certain point de vue profondément artistique, envers et contre tout. Il doit cependant y avoir une limite et il n'en a pas.

Il serait quand même réducteur d'apparenté le cinéma à du voyeurisme. C'est là que Lewis est en tort, c'est là qu'il est dans l'erreur, le cinéma est de la reproduction, ou au mieux du capter, mais pas de l'action vivante. Tuer pour trouver la terreur ce n'est pas ça, c'est une recherche venue de l'acteur et du réalisateur. Trouver, évoquer, copier la vie, les sentiments et les expressions. Le voyeur est en ce point subversif . Le cinéma n'est pas la réalité, il ne cherche pas à l'être, il ne le peut pas. Lui la provoque, il scénarise sa vie et ses envies, ses besoins.

En définitive je pense beaucoup de choses de ce film et je ne peux pas tout dire au risque d'être trop long ou trop confus, mais il est révélateur et touche à l'essence de la volonté cinématographique ce film est en soi presque à la limite dans son discours. Il reste tout de même une oeuvre magnifique sur le cinéma, un film hors du commun.
TheDuke
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le 5 juin 2013

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TheDuke

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