Voilà un thriller romanesque et historique magistral, divinement alambiqué, une partie d’échec (psychologique) haletante, un véritable joyau comme on en voit rarement - à juste titre récompensé par le Lion d’argent du Festival de Venise 2020. À l’origine, il y a la rencontre de deux grands réalisateurs japonais – le maître de la peur, sire Kiyoshi Kurosawa, et son (très romantique) élève Ryûsuke Hamaguchi, devenu incontournable depuis sa remarquable fresque chorale Senses (2018), Asako I&II (2019) et Drive my car qui a obtenu le Prix du Scénario de Cannes 2021. Et quand l’amour se frotte à la peur, tels deux silex noirs… La passion se propage forcément comme une traînée de poudre.


L'intrigue est ainsi – pour notre plus grand plaisir – inextricable, tortueuse. Les manipulateurs seront à leur tour manipulés et les manipulés, ce coup-ci manipulateurs, seront peut-être une nouvelle fois manipulés… Ces renversements sont d’autant plus inattendus qu’ils ne sont pas régis par les mêmes logiques – les psychés des personnages, comme autant de stratégies éparses, peinent à se rejoindre, à se comprendre, à s’anticiper. Les actes de Satoko, par exemple, sont indubitablement guidés par son amour pour Yusaku, son désir de rester coûte que coûte avec lui. Si en toile de fond se profile la funeste destinée du Japon en pleine Seconde Guerre mondiale, Satoko souhaite avant tout se battre pour son bonheur, pas pour son pays. Yusaku, en revanche, est plus trouble dans ses ambitions… Cosmopolite dans l’âme, tourné vers l’Occident et ses bons whiskys (c’est le cœur même de sa profession), il ne peut se résoudre à accepter la ferveur nationaliste montante dans son pays au début des années 1940. Lui aussi aime Satoko, mais ses dilemmes intérieurs lui murmurent d’agir avant tout pour la « noble » cause, les valeurs qu’il défend, pas pour son bonheur… À moins que son motif soit plus inavouable…


Commence alors un pernicieux jeu de chat et de la souris entre Satoko et Yusaku pour défendre leurs desseins respectifs, quitte à se mentir, à se blesser, à se trahir. On ressort déchiré, lessivé et meurtri par l’intensité du drame – le choc de deux libres-arbitres – qui se joue sous nos yeux. D’autant plus que la maestria de la mise en scène, la qualité des décors, l’ampleur picturale des images (Kiyoshi Kurosawa a fait ses prises de vue avec une technologie futuriste, le 8K) constituent, tout au long de cette intrigue palpitante, un théâtre des cruautés des plus cinématographiques. À l’issue, le film nous questionne : et vous, que feriez-vous pour rester justes et intègres face à la menace ?

ocean_jogging
7
Écrit par

Créée

le 6 sept. 2021

Critique lue 2.5K fois

12 j'aime

2 commentaires

ocean_jogging

Écrit par

Critique lue 2.5K fois

12
2

D'autres avis sur Les Amants sacrifiés

Les Amants sacrifiés
Selenie
5

Critique de Les Amants sacrifiés par Selenie

Si le thème est passionnant et assez rarement traité au cinéma on est maheureusement déçu par un scénario qui ne tient pas beaucoup la route. D'abord, on se demande comment et pourquoi Yusaku et...

le 15 déc. 2021

10 j'aime

Les Amants sacrifiés
Borboroth
6

Une histoire sacrifiée...

Un film au goût d'inachevé et assez fade dans son ensemble, c'est vraiment dommage venant de Kiyoshi Kurosawa. Une mise en scène presque théâtrale ne comptant pratiquement que des scènes d'intérieur...

le 11 déc. 2021

9 j'aime

4

Les Amants sacrifiés
Cinephile-doux
5

La femme de l'espion

Bien que conçu pour la télévision, Les amants sacrifiés est un projet excitant sur le papier. Outre son contexte historique : le Japon à la vielle de la seconde guerre mondiale, la coopération au...

le 23 juil. 2021

9 j'aime

Du même critique

Love Life
ocean_jogging
9

Kôji Fukada à son summum

Alerte : Surtout laissez aux autres spectateur.rice.s la surprise de ce magistral film. Elle est d'une telle force émotionnelle qu'elle bouleverse toute la lecture de Love Life. Il incombe ainsi que...

le 26 mai 2023

31 j'aime

Asako I&II
ocean_jogging
10

La versatilité d'un coeur

Parce qu’un jour Baku apparaît. Parce qu’Asako est une grande amoureuse, rohmérienne. Parce que Ryûsuke Hamaguchi n’a probablement rien à apprendre des Fragments d’un discours amoureux de Roland...

le 25 nov. 2018

20 j'aime

2

Rodeo
ocean_jogging
7

Le moteur de la vie

Il aura suffi d'une seule interview tronçonnée, saucissonnée et recomposée à la sauce "choc" de Konbini pour que Lola Quivoron passe du statut de prometteuse jeune réalisatrice acclamée à Cannes à...

le 25 août 2022

16 j'aime