Les Anges déchus par Ripailloux
Les Anges Déchus, film de Wong Kar-Wai, absolument indescriptible.
Enfin non, rien n'est indescriptible, mais ça risque d'être difficile d'exprimer ce qui ressort de cette œuvre impressionnante.
Kar-Wai nous impose ici une mise en scène pratiquement épileptique. On est pas dans quelque chose d'insoutenable ou de profondément saccadé, mais il faut le reconnaître, les angles de caméra, les choix de mise en scène, les différents plans sont d'une excentricité assez rare. Le réalisateur prend le parti de centrer sa camera sur les personnages avec une proximité parfois pratiquement oppressante. Cette réalisation amène à une intimité en relation avec le propos du film. Nous sommes presque voyeurs par moment (les scènes avec l'associée du tueur), et en proximité constante avec les personnages..
Cette intimité amène à une constante mise en valeur des sentiments, des relations, des impressions que subissent les personnages...
Parlons-en justement des personnages. Cet espèce de triangle, que l'on pourra difficilement appeller triangle amoureux, mais qui est pourtant tout à fait en relation, est fascinant. Chacun apporte sa pierre à l'édifice. Leurs personnalités sont très différentes, mais tous sont touchants, fascinants, parfois aussi inquiétants...
Le muet est mon préféré, il amène un décalage exceptionnel à l'histoire, et son histoire est d'une folie pure.
Les deux autres sont également parfaits, leur relation qui n'est faite que d'idée, de pratiquement rien, est d'une puissance remarquable.
Le film draine en lui une force, une sensualité énorme, une espèce de côté pratiquement psychédélique par instants, qui fascine, qui emporte. L'esthétique est à ce point de vue des plus géniales. Les décors urbains, de nuit en permanence, d'extérieurs ou d'intérieurs, serrés, fins, oppressants, amènent à créer cette terrible ambiance, cette douce folie qui s'empare progressivement de nous.
Le metro, qui défile, toujours au même endroit, les gares, les stations, les bars, les salons de coiffure... On est dans un Hong-Kong malfamé et pratiquement effrayant par moments, dans lequel les sens s'exaltent (à la manière d'un In The Mood For Love quelques années plus tard). C'est une véritable prouesse.
Les scènes cultes s'enchaînent, la scène du jukebox, et sa sexualité enivrante, le long passage avec la caméra, et les différentes chevauchées en moto... C'est tellement fort. Chaque personnage, à travers son récit, nous emmène dans son univers. On en ressort lessivé, subjugué, aucun n'est un modèle mais tous on en eux une profonde humanité, autant dans ce qu'elle a de plus beau qu'elle a de plus sombre.
Wong Kar-Wai est sûrement un génie. C'est mon deuxième film de lui après In The Mood For Love, et je suis conquis. J'aimerais beaucoup me perdre encore une fois dans ce Hong-Kong sombre et labyrinthique, me laisser transporter par la musique sublime du film, ... Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Et si certains films parfois sont mal dosés, celui ci a en plus l'exceptionnelle particularité d'avoir exactement la longueur qu'il fallait. Le final, peut être choquant, peut être beau, est en tout cas génial. Jusqu'au bout ce destin croisé de trois "anges déchus" nous aura transporté.
Mise en scène folle, presque abstraite, accompagnée de ralentis en pagaille (signature de Kar-Wai), personnages excellents (joués par des acteurs tout aussi excellents), ambiance unique, et histoire passionnante... Les Anges Déchus est une œuvre unique, qui exalte nos sens, éveille une sensualité, une puissance profonde, nous enlève de notre univers monotone et nous emporte au coeur d'une ville dans laquelle il ne vaut mieux pas se perdre, dans tous les sens du terme...
Une réussite !