Je sens bien que j'ai un petit problème émotionnel avec Powell et Pressburger tout de même. Exactement comme dans le Narcisse Noir, c'est à nouveau mirifique. La réalisation inventive est d'une très grande maîtrise et la scène centrale du ballet est incroyable, la claque. En prime, Moira Sheerer est une vraie danseuse classique dont on peut filmer le corps en plans larges sous toutes les coutures sans qu'il ne dévoile la moindre fébrilité (bonjour Darren et Natalie...), corps aussi fluides que le montage passe d'un angle à l'autre avec virtuosité. L'expressionnisme mêlé à la fantaisie britannique fait grimper le tout aux cimes esthétiques d'un Kwaidan (au hasard...), théâtre fantastique mouvant d'une image à l'autre élargissant la scène au grand écran avide de profondeur mystique, sans aucune métaphore schizophrénique lourdingue à l'horizon ni aucune déformation de la musique, socle primordial.


Mais je sais pas comment ils se débrouillent les deux zigues, leurs personnages sont presque entièrement scellés par le mot de la fin. C'est bizarre parce qu'au début, ça fonctionne du tonnerre avec cette entrée en matière au balcon tourmenté et son essaim de jeunes passionnés trépignants. Mais plus tard, les principaux personnages tirent trop vers le théâtral, hormis Lermontov clairement habité de bout en bout. Moira tout comme Marius Goring ont beau être bien mignons, ils manquent de profondeur, sont trop enfermés dans leur rôle de marionnettes et sont balayés par chacune des arrivées flamboyantes d'Anton Walbrook.


Moira est assez hypnotique mais surtout quand elle danse. En dehors, on ne sait pas grand chose de sa petite vie de poupée de luxe ce qui est bien dommage lorsqu'elle décide finalement qu'elle ne sait pas choisir. Oui mais tout de même, c'est un peu cinglant comme décision là, je n'ai pas eu l'impression que le tiraillement de la passion était aussi insoutenable que ça jusque là, à force de se concentrer sur Lermontov aussi. Pendant le ballet, là tu sens mieux son visage habité, tiraillé entre l'amour et la danse, entouré de ces deux mêmes symboles, monstres russes proches d'un duo de Frankenstein, machines à sautiller emportant sans répit les chaussons rouges dans les airs, et elle ne fatigue même pas la bougresse.


Mais Comme dans Le Narcisse Noir, l'ambition dramatique souhaite finir volontairement en se fracassant au sol littéralement. Deux fois qu'ils nous font le coup, moi je trouve ça un peu vite emballé quand même. Le drame final a bon dos pour symboliser tout le reste plutôt que de creuser la vraie passion du trio dans toute sa réalité. Mais bon, leur objectif n'était surement pas là. Avec ce travail de mise en scène aussi pointilleux que titanesque parfaitement posé sur la puissante musique des Chaussons Rouges, je me dois de ne pas trop faire mon cochon.

drélium
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le 17 oct. 2015

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