Les Cowboys me rend heureux. Pas de part son sujet, qui reste malgré tout lourd (quoique traité avec un certain recul), mais parce qu'il est devenu beaucoup trop rare de voir des bons films de scénariste sur grand écran. Je ne parle pas de bon scénario, non, juste un scénariste (co-scénariste d'Un Prophète avec Jacques Audiard tout de même, excusez du peu) qui se décide à faire son premier film et qui touche juste directement. Ce type d'essai transformé ne se produisant qu'environ deux fois par décennie, voilà au moins une bonne excuse pour faire preuve d'un enthousiasme débordant à l'égard du film. Bon, même timoré, l'enthousiasme, je prends. Bande de difficiles.


Parce que Les Cowboys est le produit d'une personne qui aime le cinéma. On le ressent au moindre millimètre de pellicule, et on n'a pas besoin de l'entendre parler de son art avec une passion débordante et emprunte de timidité pour en avoir la confirmation (même si ça aide à confirmer quelques soupçons). Parce que, à tort ou à raison (sans doute à raison, pour une fois), la promotion publicitaire du film a un peu débordé de la plaque, et le résultat final ne ressemble absolument pas à ce que l'on s'imaginait voir en entrant dans la salle. Et c'est tant mieux, parce qu'en lieu et place d'une histoire qui laisserait la porte ouverte à de multiples dérives formatées, on assiste à un voyage où rien ne tient en place, sinon l'incertitude. Incertitude du comment, du pourquoi, du pourquoi faire même ; tout cela ne revêt qu'une infime importance ici, peu importe la destination comme dirait l'autre. Au-delà de son esthétique très léchée, la filiation du long-métrage avec le genre du western est surtout l'occasion de s'attacher au destin de gens déracinés, sortis d'un terreau familier, habituel. Les Cowboys ne s'embarrasse pas à expliquer pourquoi, du jour au lendemain, des personnes partent, mais se soucie de ceux qui restent, ceux-là tentant de se raccrocher à une situation qu'ils tenaient pour acquise. Enlevez la thématique djihadiste, il reste une histoire à la portée pratiquement universelle, on a tous connu un ami parti vivre ailleurs, un(e) amant(e) coupant les ponts un peu trop brusquement, ou un membre de la famille parti se réfugier le plus loin possible de sa généalogie.


Le résultat est une épopée touchante de simplicité sous le vernis, pendant laquelle on s'autorisera une chose que je trouve malheureusement trop rare ces derniers temps au cinéma : se laisser porter, et surprendre, par les flots. Ainsi, en quatre parties bien distinctes, c'est tout un personnage, une vie, que l'on verra se construire, dans l'ombre de l'être recherché pourrait-on judicieusement remarquer, si ce n'est dans cette fin que je ne qualifierai que d'adéquate et superbe de sobriété, pour éviter de vous gâcher le plaisir. Et à chaque partie de cette quête initiatique, le vent tourne, les vagues repartent de plus belles dans une autre direction, et alors que l'on pensait tenir le film par le bout de la queue, celui-ci nous échappe et nous laisse désorientés. On pourra comprendre que beaucoup tiennent en grief ce caractère proprement lunatique du long-métrage, mais bon sang, pour moi c'est cela le grand Cinéma, on ne sait pas trop où on va, mais on y fonce tête baissée, quitte à faire du hors-piste sur le trajet.


A noter, si Les Cowboys est un vrai bon film de scénariste, c'est aussi (et surtout) parce qu'il se soucie davantage de ses personnages et leurs situations que de ses dialogues. On pourra lui reprocher de manquer de spontanéité par moments (un problème davantage lié à l'écriture qu'à l'interprétation, bien réussie de ce côté-là), mais jamais de nombrilisme. On pourra même lui trouver une certaine humilité, car malgré une mise en scène emprunte de quelques balbutiements inopportuns (heureusement rattrapée par une photographie et un musique toute deux sublimes), il transpire dans cette œuvre une passion pour un certain style de cinéma, à mi-chemin entre le naturalisme et l'humanisme, comme un révérence appuyée à l'égard des plus grands, de Cimino à Ford, en passant par Loach ou même les frères Dardenne (qui ont clairement été une inspiration notable ici). Et puis, toute considération technique mise à part, je dois avouer que je suis totalement fan de la diégèse plantée par Thomas Bidegain pour le film : de grosses ellipses temporelles, faisant des bons de plusieurs années en avant, avec pour seuls repères des indices plantés de-ci de-là dans le cadre et dans le montage. Confus ? Absolument pas, au contraire il est même plutôt rafraîchissant de voir un créateur prendre la juste mesure de la jugeote de son audience, et observer un certain plaisir à la perdre et la laisser recoller les pièces d'elle-même.


Je suis bien content donc. Parce qu'à la vue de la bande-annonce, je m'attendais à un bon film soulevant des thématiques casse-gueules, et qu'à l'arrivée, Les Cowboys se refuse judicieusement à toute tentative d'ostentation et de polémique stérile, au profit du contemplatif, laissant libre cours au spectateur d'y voir sa propre interprétation. Un vrai western quoi, où les apparences sont souvent trompeuses, et les voyages plus importants que les destinations. C'est malheureusement pour ces raisons précises que le film ne trouvera pas son public, d'autant plus durant ces temps troublés où l'on attend des questions ainsi que des réponses pertinentes. La vraie pertinence d'une œuvre est de savoir se taire quand il faut, et de ce côté-là difficile de mettre celle-ci en défaut. J'espère donc avoir tort et observer le public répondre présent à ce premier essai réussi pour ce qu'il est, et non pas ce qu'il est censé représenter. Monsieur Bidegain, c'est tout le mal que je vous souhaite, et j'attends la suite avec impatience.

HarmonySly
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le 18 nov. 2015

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