Un film mythique, longtemps limité pour moi à l'affiche gigantesque dans la cuisine de ma tante. Couleurs passées, banjo suranné. Qu'était-ce donc là que cette diablerie ?



De coloribus uitae



Le film s'ouvre sur une arrivée - en fanfare ? - . Eh bien non, discète et pourtant si attendue. Les forains viennent mettre de la couleur dans la ville, déjà si joyeuse. Ce sont des retrouvailles, en somme.
Les robes des jumelles scintillent, varient, pétillent, comme les costumes des multiples autres personnages. Nos seuls hommes un peu éteints sont Guillaume Lancien, porté par le bordeaux de son costume et le bleu de sa boutique, et Simon Dame, éclairé en contrepartie d'un sourire rayonnant.
Même Jacques Perrin a eu le bon goût de se teindre en blond pour se fondre dans le décor.
On se prend de la gaieté plein les mirettes.



De cantionibus saltationibusque



Michel Legrand, amour sur sa personne, multiplie les merveilles ; les jumelles elles-mêmes lui font un petit hommage au cours du film. Hors le concerto de Solange, toutes les chansons m'émerveillent. Les transitions musicales se font sans heurt, et les thèmes s'entremêlent et se prêtent - entre amoureux, pas de chichi, hein ? Que dire des paroles, poésie à la Prévert qui refuse de se prendre au sérieux, riches en allitérations, assonances et autres homéotéleutes - je pèse dans le milieu, t'as vu. Ma chanson préférée reste "Marins, amis, amants ou maris", bien que j'ai un faible, dû à ma tendre jeunesse fleur bleue, pour la chanson de Maxence.
Les chorégraphies me fascinent plus encore que les chansons, mais je serais bien incapable d'en faire un panégyrique réussi ; je me contente de placer ma carte joker pour vous convaincre : Georges Charikis (et Gene Kelly, oui). Tout est dit.



De libertate feminarum



Les jumelles, Josette, les foraines - le Grrrand Chabavanais ! -, Madame Garnier mère, même, que de jolis portraits de femmes libres ! Comme Delphine chante à Lancien, comme Solange réprimande Maxence, comme Delphine envoie valdinguer Dutroux et les foraines menacent de pleurer, comme les jumelles se refusent à Etienne et Bill : ainsi sont les femmes, plurielles et indépendantes !
Les jumelles sont tantôt romantiques à la limite de la niaiserie - bon, juste au-delà de la limite, d'accord - tantôt franchement pimbêches :




  • "Tu n'as pas peur que l'on fasse un peu putes ?"

  • "Mais puisque je vous dis que non, n'insistez plus !"



Les deux danseuses assument sans malice aucune leur rôle de mijaurées, volant d'un homme à l'autre sur un coup de tête :



"Il ne faut pas que tu m'en veuilles, ou je vais me mettre à pleurer, mon maquillage va couler [...]"



Et le plus beau dans tout ça, c'est l'absence de jugement de la part du réalisateur, qui se contente de promener sa caméra au milieu de cet arc-en-ciel sans chercher à souligner une pseudo-immoralité ou vertu de la part de ses personnages.


Je remercie donc ma tante d'avoir affiché cette affiche, et je vais de ce pas en dénicher une pour ma cuisine.


En espérant que cet éloge dithyrambique vous aura donné envie de vous plonger dans le monde merveilleux de Monsieur Demy,


Valete.

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le 10 mai 2017

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LuiseDiLida

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