Ce qu'elles vivent, ce qu'elles veulent, ce qu'elles font, ce qu'elles proposent

On ressent dans le discours tenu par le mari d’une des femmes du village la peur des hommes que les femmes se « virilisent » et à terme que la « femme » disparaisse. « L’équilibre du village » reposerait sur la séparation des activités masculines et féminines, catégories refermées sur elle-même et imperméables les unes aux autres. Le contrôle exercé par les hommes est celui d’un groupe qui souhaite continuer à bénéficier de son privilège de « mari », celui de « posséder » une « femme » qui assure gratuitement (tout naturellement de leur point de vue) les services domestiques. En interdisant aux femmes de travailler à l’extérieur de leur domicile, les hommes interdisent aux femmes d’accéder à un revenu indépendant permettant une émancipation du « rôle féminin ».


Dans ce contexte, l’acte de filmer, l’acte de tourner un long-métrage, est un acte subversif. Une des participantes aux ateliers vidéo explique sa participation est motivée par le fait de « prouver que si une femme travaille dehors, ce n’est pas la fin du monde ». Ces ateliers audiovisuels offrent un nouveau mode d’expression. Le film est aussi un moyen pour elles de mettre en avant leurs activités artisanales, la création de leur coopérative (Gojino).


Bien que la coopérative permettent aux femmes de s’organiser entre elles et d’avoir une activité à elles, certaines évoquent leurs rêves, les ambitions qu’elles n’ont pas pu concrétisées. En filigrane se tissent des critiques de la société iranienne, les images, mots, et gestes racontent une condition féminine, une condition d’oppressées, une condition tue.
Une séquence nous permet de saisir la manière dont les paroles et idées des femmes sont contraintes par la domination masculine. Une des camerawoman demande à une tisseuse si elle a entendu parler de la coopérative du village de Shafie Abad. Elle répond qu’elle en a un peu entendu parler mais qu’elle pense que cela ne change pas grand chose, que c’est juste un endroit pour papoter. La camerawoman lui répond alors qu’une différence majeure de la coopérative est qu’elle ne passe par des intermédiaires et permet donc une rémunération plus juste des travailleuses.
Là, l’homme assis un peu plus loin intervient : « comment êtes-vous sûres de ne pas passer par des intermédiaires ? ». En toute simplicité l’homme remet en cause leurs déclarations. La mise en scène est intéressante puisque l’homme est derrière la femme interviewée, il représente dans cette scène les hommes et leurs appareils oppressifs, il est là pour surveiller et punir.
Il est ici important de se questionner sur le rôle du réalisateur. En effet, le tournage du film s’est aussi fait sous le regard du réalisateur. A un moment, les femmes se tournent vers la caméra du réalisateur et lui demande comment procéder, quelles sont les bonnes questions à poser. Il serait ici intéressant de savoir concrètement comment le réalisateur et les femmes ont travaillé ensemble, savoir si le réalisateur s’est questionné sur sa propre position.


C’est aussi un film sur l’apprentissage. Les participantes apprennent à filmer (fonctionnement de la caméra, prise de son, cadrage). Elles apprennent également à se connaître entre elles. Une nouvelle intègre le groupe, elle apprend à connaître ses femmes avec qui elle n’avait auparavant aucun rapport. Elle transmet aux autres son expérience du pateh, cet art de la voiture et de la broderie. Bien qu’elles soient a priori différentes (certaines sont nées en villes, d’autres à la campagne, certaines ont pu faites des études, et d’autres en ont été empêchées par leur famille) il ressort de leur conversation des points communs, des expériences partagées. Le tournage réunit les villageois et villageoises.


Ce film nous prouve que "faire" est émancipateur, que "faire" c'est réaliser que l'est capable et que l'on peut défendre ce qui nous tient à coeur.

VictorBened
8
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le 21 nov. 2021

Critique lue 70 fois

VictorBened

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