Lucien, médecin à la retraite, décide de militer en faveur des sans-papiers : il héberge chez lui, en toute illégalité, une jeune Moldave, Tatiana, et sa fille. L'arrivée des deux réfugiées va semer le chaos parmi les proches du vieux docteur.

Les Invités de mon père commence comme une comédie, avec son lot de situations et de répliques cocasses (hilarante scène de repas familial avec les deux étrangères) pour s'achever sur un finale apocalyptique, au sens littéral du terme. Mise en scène comme un cauchemar progressant par crescendo, la présence « délétère » de Tatiana déclenche une crise révélatrice au sein de la famille de Lucien. Confrontée aux descendants du docteur, bourgeois jusqu'au bout des ongles incarnés par Fabrice Luchini et Karin Viard, elle réveille en eux des pulsions enfouies, des frustrations et des rages étouffées par le carcan des conventions. Le ver ne se contente pas de se loger dans le fruit, il le fait littéralement imploser. La comédie devient satire, la satire devient pamphlet, le pamphlet frôle la tragédie avant d'y sombrer. Dans un univers où tout n'est qu'apparences, où chacun calcule sa petite vie tranquille en fonction de celle des autres, le bonheur des bourgeois fait le malheur de ceux qui osent s'immiscer dans leurs habitudes. Tableau au vitriol d'une coquille irréductiblement close sur sa propre suffisance, sa propre vanité. Peinture inquiétante d'un milieu capable des pires bassesses pour maintenir ses fondements poussiéreux. Nulle échappatoire : ceux qui osent s'affranchir (le personnage de Karin Viard, pathétique de liberté dérisoire) finissent par perdre les pédales. Lucien n'a pas le droit de terminer sa vie comme il l'entend, on décide pour lui, on veut « le voir comme un vieillard ». Parce que c'est mieux ainsi. Parce que c'est dans l'ordre des choses. La vieillesse est une prison gérée par les plus jeunes, forcément plus capables que leurs aînés. Même s'ils sont totalement névrosés.

Anne Le Ny livre un film doublement moraliste. Sa peinture des mœurs de la bourgeoisie parisienne évoque les pages les plus acides des Caractères de La Bruyère, rappelant que depuis 1688 les mentalités ont bien peu changé. Sa vision de la nature humaine, d'une précision et d'une lucidité redoutables, donne épaisseur et gravité à l'intrigue, tout en brossant une galerie de personnages à la fois détestables et attachants. Le trait est outré, mais c'est justement le propos du film, qui semble s'écrire à la manière des caricatures d'un Charles Philipon. Les Invités de mon père fait rire autant qu'il provoque le malaise. Avançant tel un funambule entre ces deux extrêmes, la comédie d'Anne Le Ny s'impose par la finesse de sa mise en scène et la maturité de son propos. Des qualités assez rares dans le cinéma français actuel pour être soulignées et reconnues.
TheScreenAddict
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le 7 août 2010

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