Sans haine ni violence ni chasse ni comte

Vu "Les Tourmentés" de Lucas Belvaux.

Adapté de son roman éponyme.

Avec Linh-Dan Pham, Niels Schneider, Ramzy Bedia.

Comme le roman, c'est une réappropriation du film "Les Chasses du Comte Zaroff, réalisé par Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, en 1932, adapté lui-même d'un roman de Richard Connell, THE MOST DANGEROUS GAME datant de 1924.

Maintenant qu'on a rendu ce qui appartenait à César, non à Richard Connell, et qu'on constate que le mythe de gens pauvres pouvant être chassés par des gens riches ne date pas d'hier, on va attaquer la critique du film. (Pour rappel, le procès de chasses réelles pendant le conflit en Bosnie est en cours d'instruction par le parquet italien. On est donc loin du fantasme morbide ou d'une idée ignoble germée dans une alvéole sombre d'un écrivain.)

Si l'idée demeure bonne dans sa dimension sociale, tragique, écoeurante, Belvaux ne s'attache pas du tout à un remake des bases mythiques de l'oeuvre originelle, c'est à dire de l'horreur pure matinée de survie, voir s'éloigne de la matrice de son roman (à ce que j'ai compris dans des retours critiques n'ayant pas lu moi-même ce polar).

Si Ramzy Bedia tient là son meilleur rôle dramatique, après son interprétation intéressante dans la série D'argent et de Sang. Celle de Schneider m'a laissé un peu circonspect, la faute à de nombreuses incohérences du scénario. On y reviendra.

Linh-Dan Pham semble la moins crédible dans ce triumvirat improbable.

Que l'on ne s'attende pas à suivre une traque suffocante peut être un parti pris intéressant mais finalement ne jamais y arriver sauf au travers de flashback sans autre enjeu que nous rappeler qu'il s'agissait de cela à la base de cette histoire est très frustrant.

Le titre ne ment pas sur la marchandise à contrario.

Si Belvaux choisit d'aller chercher la part d'humanité de chacun de ses personnages tourmentés c'est en effet plus rassurant sur l'état de l'humanité, de son empathie et de son avenir mais pourquoi alors les chasses du comte Zaroff pour prétexter l'analyse psychologique de tous ces gens brisés ?

Le scénario comporte nombre d'incohérences fort désagréables comme ce légionnaire lettré oscillant entre une bête de guerre et l'umberto eco du coin.

La musique m'a aussi posé problème sauf celle de fin avec la partition au piano.

L'ensemble se regarde dans une sorte d'état second et d'ennui policé, sans aucun climax, ni risque que je fasse des sursauts mauvais pour mon cœur défaillant.

La fin nous achève mieux qu'un carreau d'arbalète non par un happy end extraordinaire mais une sorte de renoncement total et assumé au propos de départ avec la terrible sensation de s'être fait arnaquer. Tout ça pour ça ?

Belvaux doit penser qu'il faut être sacrément tourmenté pour avoir l'envie de voir une chasse à l'homme en Roumanie. Manoeuvre dilatoire pour nous faire réfléchir à notre voyeurisme faussement assumé. "Si j'avais su, je serai pas venu" aurait dit le petit Gibus. Si ce traquenard de Belvaux se veut génial, je lui conseille vivement de revoir le Funny Games de Michael Haneke. Les deux versions pour qu'il apprenne à véritablement saisir le spectateur la main sur la télécommande.

Mais tout de même, cette absence complète d'action m'amène à penser que le prochain Belvaux ferait mieux de s'inscrire dans l'histoire d'un tueur en série dans le milieu du curling.

Une déception.