Lisa et le Diable
6.2
Lisa et le Diable

Film de Mario Bava (1973)

À mi-chemin entre L'Antre de la folie et Phantasm : "Lisa et le Diable"


Bien... Arrêtons-nous ici. Veuillez vous approcher. Venez autour de moi. Voici une oeuvre unique de l'art médiéval catholique. Cette représentation du Diable emportant les morts va bien au-delà de l'art formel de l'époque. Regardez, le visage de Satan reflète avec puissance le plus profond des plaisirs démoniaques. Cette représentation du Diable a suscité beaucoup de superstition. Les habitants étaient convaincus que seule la puissance du Diable avait permis la préservation de la fresque



.



Cruelle destinée d'un cinéaste auquel on a refusé le droit de sortir son oeuvre préférée dans sa forme originale



Le réalisateur Mario Bava et le producteur Alfred Leone très présent sur le tournage qui s'entendait très bien avec le cinéaste, pensait tenir avec Lisa et le Diable un film à part qui allait relancer pleinement la carrière à ce moment-là en stand-by de Bava. Si bien, que le long métrage fut présenté en mai 1973 au festival de cannes au marché du film. Si dans un premier temps Lisa et le Diable eut de bons retours de la part des juges, aucun distributeur ne voulut l'acheter, n'ayant rien compris au long-métrage. C'est ainsi que l'oeuvre de Mario Bava (celle qu'il considéra comme étant sa meilleure oeuvre) ne sortit dans aucun cinéma dans sa forme originale. Seulement, le long-métrage ayant couté 1 million de dollars (à l'époque un gros budget pour un film Italien de ce genre), il fallut trouver une solution pour le rentabiliser. Au même moment sortit en 1973 aux États-Unis un film d'horreur au succès redoutable : "L'Exorciste".


Après visionnage du film, Alfred Leone eut l'idée avec l'accord de Mario Bava (qui n'avait pas trop le choix à ce moment-là) de modifier Lisa et le Diable en intégrant de nouvelles scènes (plus de 30 minutes en remplacement de 30 autres) directement et grossièrement copiées de L'Exorciste, transformant ainsi le film original en une version puante n'ayant rien à voir avec le récit de base, qui prendra comme titre : "La Maison de l'exorcisme".


Fatale ironie (à croire que les gens aiment décidément la merde), La Maison de l'exorcisme trouva des acheteurs en 1976 (soit 3 ans après), là où Lisa et le Diable avait échoué. Comble du sort le film fera un carton au box-office. Mario Bava ayant honte de cette version qui avait totalement dénaturé son oeuvre phare (l'ayant regardé juste après la version originale je confirme que c'est un gros caca puant), refusera d'avoir son nom notifié au générique ainsi que sur l'affiche et prendra à la place le diminutif de Mickey Lion. À ne pas oublier que Lisa et le Diable était l'oeuvre préférée de Mario Bava, et le cruel destin fera que Mario Bava décèdera avant que son oeuvre originale Lisa et le Diable puisse une bonne fois pour toutes sortir et s'extraire de la version qu'il détestait tant, à savoir La Maison de l'exorcisme.



À présent place à mon avis



Lisa et le Diable est une oeuvre nébuleuse et onirique qui en ces temps de morale préfabriquée s'amuse encore à ricaner du conditionnement cinématographique par le fantasme et le prisme du spectre humain dans une sphère à géométrie variable où on en vient à perdre tout repère. Mario Bava présente toutes les thématiques qui lui sont chères à travers un récit chimérique qui va vous faire tourner la tête, nous plongeant dans une réalité morbide et mortifère alimentée par une pensée libérée de tout dogme. Bien que le récit souffre tout du long d’un manque de cohésion (en clair à un moment donné on ne comprend plus rien jusqu'à la révélation finale qui rendra plus claire une bonne partie de l'intrigue); d'un manque d'incarnation avec la comédienne principale Elke Sommer (dans le rôle de Lisa) au jeu très approximatif; ainsi que d'un manque de logique avec des personnages faisant des choix par moments très cons; Mario Bava parvient à délivrer une véritable dérive libertaire et imaginaire avec de bons moments de frayeur et d'inventivité dans une parure soignée à la fois gothique et contemporaine, qui avait largement de quoi poser les bases d’une future grosse franchise horrifique.


Lisa et le Diable est une œuvre abracadabrante inaccoutumée qui rapidement nous fait déambuler dans un monde hallucinant dans lequel le personnage principal se retrouve prisonnier, sans savoir si tout ceci ne se passerait pas en fait dans sa tête. Une approche du récit par un suspense amplement intelligent et inhabituel dans lequel le cinéaste aime se jouer de nous. Élément rappelant grandement les films L'antre de la folie (1994) de John Carpenter, ou encore Phantasm (1979) de Don Coscarelli. Un concept au parti pris évident à travers le cynisme maestro, de Bava qui livre des cadres ingénieux avec des plans en profondeur intelligents et ses décors labyrinthiques tournoyants. Outre les nombreuses techniques inventives rendant la cohabitation entre le réel et l'irréel crédible, les quelques personnages habitant dans ce monde brumeux : une vieille femme aveugle ayant des dons de voyance (coucou Phantasm), le fils instable, ou encore le servant de la maison rappelant un croque-mort (encore coucou Phantasm), parviennent à alimenter un climat fantastique déstructuré et austère. Une allégorie du subconscient à la hauteur de nos cauchemars métaphoriques. À noter que l’ambiance sonore est parfaitement maîtrisée avec une composition musicale soignée signée Carlo Savina, qui donnera également naissance à un générique d'ouverture particulièrement génial et authentique.


À présent laissons place à l'antagoniste principal de l'histoire : le majordome Leandro qui n'est autre que le Diable en personne. Grand orchestrateur de l'ombre qui prend un malin plaisir à torturer psychologiquement les gens qui l'entourent, n'interagissant jamais directement, préférant manipuler son monde telles des marionnettes. Leandro est un personnage énigmatique, diabolique, morbide, jovial et curieusement généreux du moins en apparence, puisqu'il passe son temps libre à créer des mannequins identiques à tous les protagonistes, signifiant finalement qu'ils ne sont que des jouets à sa solde. Une pièce de théâtre diabolique dont il prend un malin plaisir à suivre et à alimenter. Physiquement Leandro le majordome satanique possède une allure étonnante, avec son grand costume noir sur son corps enrobé et charpenté, avec son crâne rasé, et sa sucette en bouche. Une sucette initialement utilisée par le comédien car il venait d'arrêter de fumer, chose que Mario Bava a adorée et intégrée au personnage de Leandro. À noter qu'après ce film, le comédien réutilisera sa sucette qui deviendra un vrai symbole pour son personnage dans la série Kojak. Le comédien Telly Savalas s'en sort avec les honneurs, s'affirmant parfaitement dans le rôle du Diable. L'univers fantasmagorique dépeint met parfaitement en valeur ce personnage nébuleux.


CONCLUSION :


Mario Bava impose avec Lisa et le Diable une mythologie horrifico/métaphorique qui se suffit à elle-même, créant une menace parfaitement en adéquation avec son concept, développe un antagoniste charismatique capable de soutenir en permanence le récit, et exploite ingénieusement les situations attendues, comme celles qu'on ne voyait pas venir. Seul bémol, une comédienne principale en roue libre, une histoire pas toujours simple à suivre (manque de cohérence), et un lot de personnages un peu con con sur les bords. Une dimension allégorique sonnant comme un condensé des thématiques du cinéma de Bava, celui d'un langage visuel à part entière, dont la composition par le découpage et la mise en scène définit sa quintessence, malgré son instabilité.


Au-delà de la condition artificielle qui s'impose, Lisa et le Diable doit sa réussite à l'intelligence de son cinéaste.

B_Jérémy
7
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le 22 sept. 2020

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