Depuis les années 2000 voire même les années 1990, dire que le genre western n’attire plus les foules dans les salles est un doux euphémisme. Les cinéphiles jouissent encore des pépites du western classique de John Ford, du western spaghetti de Sergio Leone, du western crépusculaire de Clint Eastwood ou Sam Peckinpah et certains soulignent la beauté du récent l’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d’Andrew Dominik. Mais ce dernier dresse à juste titre une forme d’impasse pour une époque qui n’existe plus aujourd’hui et ne passionne plus autant qu’autrefois. Mais si ce constat est réel, il l’était tout autant pour le film de pirates. Et qu’elle ne fut pas la surprise de voir un projet original au doux nom de Pirates des Caraïbes que de devenir une saga cinématographique et particulièrement rentable pour les studios Disney et la production Bruckheimer. Il faut dire que Jerry Bruckheimer est un producteur qui aime ressortir des genres cinématographiques et les remettre au goût du jour. Le genre aventure avec le dytique Benjamin Gates, la sorcellerie avec L’Apprenti sorcier (encore avec Nicolas Cage) mais l’exemple le plus probant reste très certainement sa saga prolifique Pirates ces Caraïbes qui a su redonner les plus belles lettres de noblesses à un genre qui était devenu désuet, et dont le cinquième volet se fait attendre. A la tête, on retrouvait déjà le désormais célèbre Gore Verbinski, qui revient au cinéma live avec Lone Ranger après un essai particulièrement réussi sur l’animation avec Rango, mais surtout il y avait une tête d’affiche inoubliable en la personne de Johnny Depp, devenu en quelques volets une véritable icône du cinéma. Après l’échec historique de John Carter l’an passé, Disney n’avait pas dans l’idée de réitérer les erreurs du passé et c’est presque de manière logique qu’ils font appel à leur équipe la plus fiable et la plus rentable pour mettre sur pied cette adaptation d’une série télé des années 50, elle-même inspirée par un feuilleton radiophonique. Le faible succès du film outre-Atlantique démontre cependant que cette stratégie n’a pas suffi.

Dès les premiers rushs lors du tournage, le film souffrait déjà de plusieurs maux qui allaient l’empêcher d’avoir une campagne de communication rêvée. Tourné dans des conditions météorologiques difficiles, avec des dépassements de durée de tournage et donc de budget, la production n’allait pas exactement s’entendre avec l’approche de Verbinski. Et les médias vont être au courant de ces prises de bec. Dès lors, Lone Ranger sera entaché par des bruits de plateau, des tensions entre l’équipe directive du film et des conditions chaotiques de tournage (attristé en plus par la mort d’un technicien) qui ne feront que doucement tourner le film vers l’échec le plus cuisant de l’année 2013. Conçu presque spécialement pour le public américain dont les personnages sont beaucoup plus ancrés dans la culture populaire que dans le reste du monde, Lone Ranger n’a à l’heure actuelle même pas rapporté la moitié de son budget sur le territoire nord-américain. Et ce n’est pas spécialement le public international qui va permettre de rembourser la dette.

Mais l’échec n’est pas entièrement dû à la campagne de communication, la qualité discutable du long métrage est tout autant responsable. Lone Ranger a d’immenses qualités pour une super production et il faut reconnaître l’audace de Gore Verbinski d’avoir su rester fixe sur sa position de faire une moitié de film sur des plateaux de tournage en milieu naturel et l’autre en studios. Ainsi Lone Ranger offre de somptueux paysages, des plans magnifiques tout en insistant sur la vie rude qui prédomine dans ces terres. Tout cela contribue au charme esthétique du film. De ces décors en milieu naturel, il en résulte également un ancrage dans une époque parfaitement réussi. Les costumes semblent parfaitement crédibles et cette thématique de la modernité qui débarque dans ces contrées encore non civilisées et davantage adepte de la loi du plus fort que de la loi de la justice, rentre pleinement en compte pour donner une meilleure authenticité. Gore Verbinski n’est pas cupide. C’est un réalisateur avec ses influences et ses expériences, et son talent associé à ses connaissances sur Rango ont permis de donner un des meilleurs films d’animation de ces dernières années. Avec Lone Ranger, il avait très certainement de quoi faire un film au minimum divertissant, au mieux qui pose les bases d’une nouvelle saga. Dès les premiers plans, Lone Ranger remercie ses pairs et n’oublie pas les références à Sergio Leone (Il était une fois dans l’Ouest, lors de l’arrivée du train en gare) ou John Ford. C’est en cela que le scénario nous ramène à L’Homme qui tua Liberty Valance. Deux mondes s’opposent et pour être certain que l’Amérique devienne une nation phare, il faut qu’elle se civilise et s’adapte à la justice. Mais Lone Ranger prend ce constat à contre-pied et fait de son héros John Reid/Armie Hammer un justicier, un vigilante accompagné avec des valeurs. Il prend conscience que pour punir ceux qui abusent de la lente évolution de la société, il faut user des armes.

A nouveau, comme dans nombre de western, c’est l’arrivée du train qui va permettre l’évolution de l’Amérique. A ce jeu-là, Lone Ranger ne prétend pas être meilleur que le chef d’œuvre de John Ford mais il dévoile suffisamment d’éléments pour comprendre l’importance de ce nouveau transport. Et derrière cela, on peut y voir le passage à un monde qui ne sera désormais plus régi que par le capitalisme. L’argent et le pouvoir corrompt les hommes. Et si dès le prologue, on s’amuse à deviner le véritable bad guy du film, celui qui tire les ficelles, il faut dire qu’être si proche de la popularité, du succès, de la gloire et de la fortune peut faire tourner la tête à n’importe quel homme. De la part de cette production, il faut également souligner ce regard apitoyant sur le sort des amérindiens. Si les clichés foisonnent, la bataille finale est assez poignante. Les indiens traditionalistes qui souhaitent que leurs terres ne changent jamais face aux soldats de la cavalerie, fiers de leur patrie et disposés à l’évolution sociétale. Il en résulte un regard accessible sur le génocide amérindien mais néanmoins surprenant pour une production familial de ce calibre. Il y a donc toutes ces idées traitées qui sont intéressantes mais regrettables car l’intrigue sent le tiraillement de son réalisateur qui hésite à dénoncer ce génocide et l’arrivée du monde capitaliste tandis que de l’autre côté, la mainmise des producteurs semble l’influencer pour rendre le tout édulcoré et suffisamment accessible pour un public qui souhaite, avant tout, se divertir. Dès cet instant, le parti pris sonne comme le début de la fin pour la réussite du film.

Lone Ranger, c’est surtout l’occasion pour Johnny Depp de faire le pitre et de mettre plus en avant un acteur -que l’on devine- phare dans les prochaines années, Armie Hammer. Comme sur la saga des Pirates des Caraibes, Depp livre une prestation excentrique où il a de nouveau usé de son pouvoir d’influence pour créer un Tonto, remarquable ou agaçant c’est selon. Une interprétation digne de lui qu’il ressasse depuis 10 ans que ce soit chez Verbinski ou Burton. A l’inverse, il faut reconnaître qu’Armie Hammer, dont c’est le premier rôle dans une superproduction, a les compétences pour tenir un film à bout de bras. Il cabotine par rapport à ses métrages précédents que cela soit dans The Social Network (David Fincher, 2010) ou J.Edgar (Clint Eastwood, 2011) mais depuis Blanche-Neige, il montre surtout qu’il est acteur qui peut aisément faire partie de productions Disney et plus généralement de productions familiales. Il est juste dommage d’assister à un long-métrage qui se focalise presque exclusivement sur Tonto/Johnny Depp, lui rajoutant même un passé tragique, alors que John Reid est la figure phare de la série. Armie Hammer se révèle donc transparent dans la seconde partie à l’inverse de Tonto qui y démontre toutes les possibilités de son personnage. Derrière ça, il y a également une Helena Bonham Carter qui n’ajoute absolument rien à l’intrigue alors qu’elle est présente sur l’affiche. Son rôle de fille de joie n’est présente à l’écran durant seulement 3 séquences et n’ajoute qu’une plus-value de notoriété et éventuellement d’humour à l’intrigue. C’est là que le film peut faire perdre une certaine partie de l’audience : beaucoup trop masculin pour que le public féminin s’y identifie, les deux seules rôles féminins se révélant n’être que des femmes disposés aux hommes. Il est clair que le western est un genre souvent machiste mais pour une production de ce coût, il fallait au moins tenter d’attiser l’attention des femmes, et ce ne sont pas les beaux yeux de Johnny Depp qui sont capables de faire tout le boulot. Le casting des seconds rôles est bien fourni mais mal employé. Casting composé d’un William Fichtner manichéen extrême comme à son habitude, d’un Tom Wilkinson plus subtil, d’un Barry Pepper condamné à ce genre de seconds rôles pour grosse production et d’un James Badge Dale, peu présent à l’écran mais suffisamment pour confirmer qu’il est également en train de devenir une valeur au cinéma.

En fait, là où le bât blesse, c’est étonnamment dans la durée du film et le fait qu’il s’étire trop en longueur. Si quelques scènes rythmées font l’effort de captiver, notamment la séquence finale dans les trains, Lone Ranger surprend par l’allongement d’un long-métrage qui ne construit pas plus ces personnages ou le potentiel de son intrigue. De Lone Ranger est attendu un divertissement plus que convenable. Or Verbinski fait l’erreur de privilégier l’histoire de ses personnages et de leurs relations par le biais de très (trop) nombreux dialogues vains. Ces dialogues sont également ponctués –Disney oblige- par des gags récurrents et gentillets. Ils ne provoqueront pas l’hilarité, éventuellement un sourire en coin mais le plus souvent, des soupirs animeront le silence des salles de cinéma. Du côté du rythme et des séquences d’action, c’est un peu la déception. Pour sa durée, seules trois séquences peuvent être considérées comme de l’action, et si elles sont plutôt bien lisibles, il faut reconnaître que ça fait peu et qu’il n’est donc pas étonnant que Lone Ranger soit un film ennuyeux à de nombreux moments. Il n’y a pas à douter des intentions de Gore Verbinski mais il faut comprendre que Lone Ranger ne fait que ressasser une recette du blockbuster fade depuis bien longtemps désormais. Le charme n’opère pas et pourtant malgré tous les ragots de studios, il était possible de croire en Lone Ranger. Le public américain a déjà confirmé que ce film était une nouvelle déception dans la catégorie des blockbusters. Après John Carter, After Earth, The Green Lantern, RIPD Brigade Fantôme, etc. serait-ce un genre en crise à l’heure actuelle ?

Il est clair que beaucoup trouveront que Lone Ranger n’est qu’un Pirates des Caraïbes à la sauce Western, en plus long et plus vide. Si le premier opus était un divertissement tout ce qu’il y a de plus généreux avec un Johnny Depp en roue libre, Lone Ranger s’étire trop en longueur et ne développe pas assez ses personnages pour susciter l’attention. Il ne s’agit là que d’une nouvelle production Disney qui échoue à rendre ses intrigues divertissantes, et éventuellement intéressantes. Il faut voir ce que les enfants et les adolescents vont penser de ce film. Mais pour des adultes qui parfois aiment avoir affaire à ce genre de plaisir coupable, l’essai, ou du moins la ressasse, est à moitié-raté. Moyen est le mot qui convient le mieux, et c’est grâce à la mise en scène de Verbinski qui réussit à proposer malgré tout quelques séquences intéressantes que le film sort un peu du lot et arrive à ne pas laisser une impression complètement déçue du film. Avec Lone Ranger, Disney prend conscience que ce n’est pas en mettant aux commandes d’un projet l’équipe phare d’une autre de cette saga ultra-juteuse qu’un film est assuré du succès. Ce nouvel échec va certainement faire réfléchir davantage les dirigeants sur cette recette face qui n’a plus aucun effet sur le public. 2015 ou l’année du blockbuster sera une année phare pour l’Histoire du Cinéma, mais surtout pour le Blockbuster qui risque de voir sa stratégie complètement repensée, pour le meilleur ou pour le malheur des spectateurs. Mais pour l’heure, ce Lone Ranger est un film au goût bien amer.
Softon
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le 8 août 2013

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Kévin List

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