Une véritable pantalonnade, fortement poussiéreuse et sans finesse aucune. Si Bruno Dumont se concentre habituellement sur le milieu ch’timi - et ce dès La vie de Jésus, son très beau, limpide et efficace premier long métrage - il excelle la plupart du temps dans la veine d'un certain cinéma social, filmant ses figures dans une sorte de poésie abstraite, avec un sens de l'incarnation parfois proche du mysticisme.


Avec Ma loute il confirme le grand écart effectué avec sa série P'tit Quinquin, livrant une pure comédie burlesque. Le résultat est proche de la catastrophe, et n'importe quelle personne un tant soit peu honnête pourra, à mon humble avis, se rendre à l'évidence : la critique acerbe de cette "bourgeoisie-citadine-plus-grotesque-et-ridicule-tu-meurs" sent méchamment le retournement de veste de la part de Dumont, ou du moins l'opportunisme et l'inauthenticité fièrement antipathique.


Epaulé de Binoche ( bichonnée mais vulgaire ) et de Luchini ( qui luchinise à fond, qui en fait des kilos, des quintaux, puis des tonneaux...) le cinéaste reste néanmoins fidèle à ses obsessions premières puisqu'il pose sa caméra dans des contrées familières, contrées avoisinant celles de L'humanité, de Flandres ou de Hors-Satan. Or il ne s'agit plus de montrer le ch'ti moyen comme un sinistré pitoyable et apathique : ici c'est le bourgeois qui est placé sur la sellette... Le regard porté sur les personnages de Ma loute manque cruellement de retenue, beaucoup trop grossier pour nous inspirer une quelconque forme d'indulgence à son égard.


Le film joue la carte du slapstick jusqu'au bout, et c'est là son audace : on ne pourra pas lui retirer cette radicalité, et le film a au moins ça pour lui... Hélas l'humour poussif évoque le pire vaudeville qui soit et la manière dont Bruno Dumont dirige ses interprètes s'apparente fâcheusement à du théâtre filmé. Le rire inculqué brutalement par le cinéaste transpire davantage la complaisance que l'intelligence, et les ressorts comiques font parfois l'effet de pitreries tout droit sorties d'un mauvais boulevard. Cette lourdeur se fait sentir jusque dans la technique, notamment dans l'utilisation d'une bande-son volontairement amplifiée, qui souligne le gag au point de le desservir.


Reste le sentiment d'un machin qui se veut drôle mais qui tombe platement à côté, qui ne fait jamais rire ni même sourire a minima. Ma loute ou comment Dumont force le trait au point de saborder son potentiel initial. Son plus mauvais film à mon sens.

stebbins
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le 14 mai 2016

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stebbins

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