En 1948, Orson Welles est un électron libre dans la vaste industrie cinématographique. Souffrant de problèmes financiers et de divers différends avec de grandes sociétés de production, il doit lui-même partiellement financer ses projets et trouver refuge parmi des sociétés mineures qui voudront bien l'aider dans ses démarches créatives. C'est dans ce contexte que l'un des vilains petits canards les plus célèbres du cinéma va réaliser son Macbeth, adaptation du grand William Shakespeare.


Macbeth ne met pas longtemps à imposer son atmosphère singulière et son ambiance oscillant entre le conte fantastique et le drame médiéval. Avec ses petits moyens, Orson Welles parvient à plonger son film dans une ambiance primale, très onirique et ténébreuse, avec des effets et des décors ostensiblement factices, qui n'ont rien à envier à un Cabinet du Docteur Caligari (1920), mais qui, comme dans le chef d'oeuvre de Robert Wiene, nourrissent le climat du film, et plutôt que de le rendre grotesque, alimentent le malaise dans lequel il évolue. Car la folie est omniprésente dans le film de Welles, tout comme dans la pièce de William Shakespeare. Elle ronge inlassablement Macbeth, assailli par la superstition, attiré par le pouvoir, rongé par le remords, hanté par la fatalité.


Ce qui est curieux avec le Macbeth de Welles, c'est qu'il est unique en son genre, singulier, mais qu'on y trouve de nombreuses similitudes avec l'esthétique expressionniste du Faust de Murnau, et la gestion des lumières et du cadrage d'Eisenstein. Ivan le Terrible, notamment, partage beaucoup de points de convergence avec le film d'Orson Welles, d'un point de vue visuel entre autres, mais aussi dans le traitement du personnage. Mais ici, Welles cherche surtout à rendre hommage au théâtre de Shakespeare, qui éveilla en lui ses premières vocations, comme dans un retour aux sources, et dont il profite de ses expériences cinématographiques pour utiliser le cinéma afin de donner à l'oeuvre de l'illustre écrivain anglais une nouvelle dimension.


Et Orson Welles y arrive remarquablement, dans un véritable conte glaçant et ténébreux, plein de réflexion sur la quête du pouvoir, la tentation, le remords et la peur, où le réalisateur se met en scène dans un rôle où il se laisse aller, incarnant lui-même toute la dramaturgie de l'histoire, convoyant à travers son regard sans cesse écarquillé la peur, la folie et la détresse. Macbeth est un personnage particulier, à la fois pitoyable, terrifiant et pathétique. Welles, dans son film, cherche à développer une atmosphère fantastique grâce aux moyens octroyés par le cinéma, mais il cherche avant tout à réaliser une adaptation la plus fidèle possible, et cela passe par une mise en scène très proche de celle du théâtre, laquelle trouve à nouveau une justification à travers les décors visiblement factices et le jeu des acteurs.


Orson Welles conserve ici tout son art de la gestion des lumières et du cadrage pour créer cette atmosphère prenante, mais cela ne lui empêchera pas d'être une fois boudé par le public. Trop exigeant, difficile à comprendre pour les oreilles anglaises, il n'arrangera pas la situation du cinéaste. Une dizaine d'années plus tard, un autre illustre cinéaste, Akira Kurosawa, se prendra à l'exercice de l'adaptation de la même pièce dans le non moins intéressant Château de l'araignée, un film également minimaliste et très onirique, mais on en se prendra ici pas au jeu des comparaisons. Orson Welles livre avec Macbeth une oeuvre très personnelle, visuellement superbe, étouffante et hantée par la destruction, faisant émaner toute la puissance de l'oeuvre originale de William Shakespeare.

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le 2 févr. 2018

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