Le chef de file du cinéma coréen moderne est de retour, trois ans après Stoker – et un court au passage – et si l'adage veut que la vengeance soit un plat qui se mange froid, autant le dire tout de suite : même après trois années, la vision de la vengeance par le créateur d'Old Boy n'a même pas tiédi. Avec Ahgassi, Park Chan-Wook est andré dans la cour des Grands. Il balaie d'un revers de la main l'idée selon laquelle il ne serait plus en mesure de tenir la distance suite à son détour par la case Hollywood. Qu'à cela ne tienne, il laisse à ses acteurs le soin de donner l'échange, et n'hésite pas à monter au filet afin de conclure un match somptueux d'un coup de boul...fusil à la fois extrême et poétique, assurant la victoire à demi-volée de son thriller érotique.


Son film a été tourné en japonais et en coréen, et propose ainsi des sous-titres utilisant deux couleurs afin de différencier les deux langues. La reconstitution des années 30 durant la colonisation japonaise de la Corée fourmille de détails – soyez rassurés, vous n'en louperez pas une miette, à grands renforts de travellings ! Le moindre élément, la moindre réplique est souvent assez lourde de sens. La photographie est splendide une fois encore. Un énorme travail a été accompli sur la lumière, comme en témoignent des lieux souvent sombres comme le manoir, ce qui contribue encore à l'ambiance générale, mais jamais au détriment d'une lecture impeccable des évènements. Le travail de Chung Chung-Hoon, fidèle directeur de la photographie du géniteur de la trilogie de la vengeance, permet de savourer de la meilleure des manières l'incroyable performance de mise en boite des pulsions érotico-fétichistes de ce dernier. Cette même forte impression de contempler l'oeuvre d'un perfectionniste de l'image, presque maladif, je l'ai eue récemment en découvrant un certain Barry Lyndon. Sauf qu'ici ce sont entre autres les fantasmes d'un vilain vicelard violent vieillard, l'oncle d'Hideko, c't'âne laid lubrique. J'y ai également vu un parallèle avec le chef d'oeuvre de Leone mettant en scène une ruée vers l'or impliquant trois protagonistes qui tour à tour, s'allient puis se trahissent. Leone comme Park prenant un malin plaisir à brouiller les cartes quant à qui est qui dans l'histoire.


Une tension sexuelle invraisemblable émane de la séquence du bain, torride de suggestion. Elle n'est pas sans rappeler la délicieuse scène de piano de Stoker. Si le créateur de Thirst n'a pas son pareil pour partager ses névroses raffinées, le crescendo de crudité dans les scènes hot qui s'ensuivront m'ont quelque peu éloigné de l'histoire par leur caractère de plus en plus gratuit. Etait-il vraiment nécessaire d'en dévoiler et de s'attarder autant, alors que la première séquence avait une telle puissance évocatrice ? Cet instant, magique parmi une foule de détails à priori anodins et pourtant tout aussi délicats, de l'ajustement d'un corset à une Hideko se mordant les lèvres avec sensualité, et tant d'autres. Puis peu à peu, ressentir cette impression de plus en plus insistante, de se retrouver devant un softcore porn de luxe. Certes, il est question de Sade(-isme), de saphisme (là encore, rien à voir avec un quelconque tennisman qui se prénommerait Marat...), mais tout de même, j'attendais Park Chan-Wook à un autre niveau que celui du «syndrome de la série random HBO» - qu'on ne s'y méprenne pas, j'apprécie en grande partie leurs productions, mais cela ne m'empêche pas de trouver certaines de leurs pratiques pour le moins exaspérantes (coucou GOT).


Cela étant, les rebondissements sont plutôt bien amenés, Park Chan Wook a déjà prouvé qu'il savait mener un hareng rouge. Quelques lacunes apparaissent tout de même dans la deuxième partie, avec un changement de point de vue qui, s'il apporte son lot d'informations et de révélations, le fait de manière par trop didactique et s'avère parfois maladroit, entraînant une redondance pas toujours bienvenue. A croire qu'à l'exercice de la focalisation multiple, n'est pas Tarantino qui veut. La distribution quant à elle, est de grande qualité, Kim Min-Hee et Kim Tae-Ri déroulent cette machination avec force et sensualité. Quel plaisir également, de revoir Ha Jung-Woo, que j'avais adoré dans The Murderer - un de mes coréens de cœur - et qui tient ici un rôle diamétralement opposé – le Truand. Et enfin, celle qui fut impressionnante dans Oasis, plus conventionnelle dans ce Mademoiselle, mais toujours irréprochable et incroyablement classieuse. La cerise sur le gâteau, dans ce jeu de (gei)-chat et de la So-Ri.

Gothic
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le 6 nov. 2016

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