Le bide d'Alice de L'Autre Côté du Miroir aura servi de leçon à Disney en 2016, leur public est prêt à se faire avoir une fois mais deux, le potentiel commercial des remakes en Live-Action s'arrête à un seul film, d'où la nécessité pour l'entreprise d'accélérer leur rythme de production si elle veut charger au maximum son planning et rester conquérant annuel du box-office. Mais le vilain petit canard que voilà était déjà trop avancé pour être annulé, la star/productrice avait fini par signer et tant qu'à essuyer les critiques, pourquoi ne pas essayer de réparer les pots cassés?


La scénariste Linda Woolverton a donc la même mission que pour la suite d'Alice au Pays des Merveilles, faire son mea culpa auprès des fans et tenter d'effacer ses bourdes en explorant plus en profondeur le background des personnages et les fondations de cet univers féerique. Mais la tâche n'est pas aisée, Maléfique : Le Pouvoir du Mal payant au centuple les erreurs de son film de référence.


Maléfique, premier du nom, fût si inapte à donner la moindre personnalité à son anti-héroïne avant sa prétendue transformation psychologique (résultat, il faut le rappeler, de l'entêtement de l'équipe à faire un film en-dessous des deux heures, envoyant ainsi à la poubelle 15 à 20 minutes de prologue comprenant les parents de Maléfique pour tout reshooter de façon à ce que l'intro tienne en 5 minutes) que sa suite ne peut qu'en pâtir. Le spectateur ne sachant rien du personnage avant qu'il devienne "diabolique", il est embarrassé de retrouver la sorcière diantrement cynique, froide et à la limite du racisme, cinq années s'étant pourtant écoulées depuis la fin des hostilités. Un peu comme si le film précédent avait oublié de nous présenter son caractère, ou que le nouveau fait n'importe quoi avec pour justifier les pires idioties qui viendront.


La confusion laisse place à l'éclat de rire quand Joachim Rønning nous dévoile, via un plan-séquence en images de synthèses interminable et surtout absolument hideux, un royaume environnant au nom imprononçable (Ulstead) qui, comme c'est étrange, n'a jamais été vu ou mentionné un film plus tôt malgré son extrême importance et ce alors qu'il est, comme c'est pratique, séparé de la Lande par un bord de lac d'une cinquantaine de mètres. C'est presque aussi plausible que de nous faire croire que Metropolis et Gotham City sont villes voisines... wait.


Mais ce serait oublier la base de l'histoire qui est le futur mariage d'Aurore et Philippe. Car ce que Woolverton faisait passer pour une blague casseuse de codes est maintenant tout à fait sérieux, l'auteure nous demande de passer outre sa moquerie d'ado rebelle pour que l'on accepte son retournement de veste quant à l'écriture du prince, peut-on encore parler de marcher sur la tête à ce stade? Problème, la romance a eu lieu entre les deux opus et croire à ce couple est aussi faisable que croire à une légende locale qui aurait trafiqué la vérité pour ruiner la réputation de Maléfique. Ça tombe bien, c'est ce qui arrive. Une nouvelle fois, on ne parle pas d'un pays lointain où les rumeurs auraient altéré l'histoire au fil des ans, on parle d'un lieu situé à proximité du royaume d'Aurore où on a la vague impression qu'il n'y a eu aucun contact politique en 5 ans, ça ou alors on nous prend vraiment pour des cons.


On l'aura très vite compris, le scénario de Maléfique : Le Pouvoir du Mal part dans l'auto-reboot, espérant manipuler l'audience par des astuces visibles comme le nez au milieu de la figure. On se demande si le script a été relu avant le tournage tellement la mise en scène grotesque vient parfois contredire les rebondissements, notamment ceux impliquant la Reine Ingrith jouée par la classieuse Michelle Pfeiffer, ouvertement affichée comme la grande méchante mais mise au centre d'un twist qui n'en est pas un sur la culpabilité de Maléfique. Ou la présence de fées noires qui est vendue dès la première scène et qui ne fait pas du tout sens avec le déroulement qui suit, comme s'il manquait des morceaux ou que tout avait été réécrit à la dernière minute.


Tous les personnages étant atteints d'Alzheimer, Woolverton voit son travail facilité pour faire évoluer son récit, tous les conflits pouvant être résolus en une phrase si l'un des protagonistes avait la jugeote de se défendre ou de rappeler les faits véritables devant une Pfeiffer qui dévore ses interlocuteurs (une pensée à ce dîner diplomatique où la tension est à son comble quand Maléfique manque de se faire attaquer par un gros minet). Ne faisant plus aucun effort pour cacher sa flemme (le piège de Ingrith risiblement criard, la Lande contenue dans une petite chapelle, Aurore qui trouve sans explication la cachette de sa belle-mère), le film bâcle honteusement tout ce qu'il entreprend quand il ne sait pas quoi faire de son casting (Chiwetel Ejiofor présent un petit quart d'heure, Sam Riley encore plus sous-exploité qu'avant alors qu'il était un des rares points positifs du précédent volet).


Cela touche même Angelina Jolie qui a dû être victime d'une angine pour n'avoir quasiment aucune réplique dans la deuxième heure, l'actrice n'apparaît étrangement que rarement dans son propre film et pour ne quasiment rien dire avant le final, rendant son rôle encore plus inconsistant tant ses réactions disproportionnées sont absurdes (le pétage de câble complètement gratuit lors du repas, son mépris excessif envers les humains, ou bien sûr l'affrontement de fin qui la montre comme un électron libre sans aucun contrôle).


Et parce que le ridicule ne tue pas et qu'une Maléfique guerrière ne suffit pas, cette fois, le studio veut tellement donner aux fans ce pour quoi ils ont payé leurs places qu'il va jusqu'à, grâce à un deus-ex machina stupide, métamorphoser le personnage en un phénix géant, écho évident au dragon pour se faire pardonner du troll débile de 2014.


Mais reconnaître ses fautes c'est une chose, savoir les corriger c'en est une autre. Et la conclusion de Maléfique : Le Pouvoir du Mal dépasse tout ce qu'on pouvait imaginer en terme d'idiotie et de niaiserie.


Pour ne pas dire que c'est carrément dérangeant de voir ces peuples, qui viennent de s’entre-tuer quelques minutes plus tôt, devenir les meilleurs potes du monde et célébrer un mariage sur le même sol où est versé le sang de leurs frères d'armes, tombés au combat. Dans une lutte clairement génocidaire, la façon dont sont presque ignorés les décès et dont le champ de bataille est déguisé par de jolies fleurs provoque un vrai malaise.


Ceci est juste symptomatique d'une commande exécutée sans passion où Joachim Rønning suit la voie de Robert Stromberg en copiant sans scrupules l'imagerie d'Avatar (les fées noires sont des duplicatas des Na'vi dans leur écosystème, leurs environnements, leurs traditions et leurs mouvements), reprenant au pif les caractéristiques narratives du premier film (la narratrice n'est là que pour une séquence récapitulative, pas même un message final) et confiant la musique à un Geoff Zanelli qui recycle toute l'OST de James Newton Howard (souvent même n'importe comment, le premier envol de Maléfique se joue sur The Christening) sans rien apporter d'intéressant.


Maléfique : Le Pouvoir du Mal est discutablement moins accusable de massacre puisque, La Belle au Bois Dormant ayant déjà été souillé de fond en comble, il ne peut faire du mal qu'au premier Maléfique par sa bêtise massive mais l'inapplication avec laquelle il a été écrit et développé ne lui permet même pas d'être un sympathique nanar, seulement un énième ratage des Studios Disney. La liste commence à être longue.

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le 17 oct. 2019

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Walter-Mouse

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