Ceci n'est pas à proprement parler une critique de Manchester by the Sea. J'essaye dans ce texte de dégager une analyse, qui à défaut sans doute d'être totalement pertinente, explique mon interprétation du jeu grave et investi de Casey Affleck dans le film. Si vous ne l'avez pas vu, fuyez pauvres fous, car je risque de disséminer par-ci par-là des spoils. Quel horrible mot. Mais bref...


Il y a quelques jours, lors de la cérémonie des Oscars, Casey Affleck a remporté l'oscar du meilleur acteur pour sa performance dans le film Manchester by the Sea. Une victoire somme toute attendue, tant l'acteur partait largement favori dans sa catégorie. Petit retour sur une prestation qui à mon sens fera date.


Manchester by the Sea est un film sur le deuil. Sur l'après qui fait suite à un tel traumatisme. Le film explore ce thème via différents personnages. Chacun d'eux possède sa propre manière de le vivre, et donc de le matérialiser. Le fils par exemple, Patrick Chandler, orphelin dès l'entame du film, rentre dans une phase de déni. Il ne laisse rien transparaître car il ne veut pas se laisser perturbé par le décès de son père. Il souhaite reprendre ses habitudes le plus vite possible, faire presque table rase des conséquences de l'inéluctable perte, car son père était condamné, pour ensuite continuer sa vie comme avant. Il s'impose une barrière entre lui et les souffrances, ils veut les garder à distance. Un moyen de s'en protéger sans les affronter.


Lee Chandler, le personnage joué par Casey Affleck porte plusieurs deuils. Si celui de son frère ouvre le film, on apprendra que plus tard, le véritable drame qui sous-tend son mal-être. Quelques années auparavant, ses 3 enfants périrent dans un incendie. Un terrible accident malheureusement du à une maladresse de sa part. Sensiblement éméché lors d'une soirée, il oublia de refermer la porte du feu ouvert avant de quitter sa maison pour partir acheter à boire. Lorsqu'il revint, sa maison était embrasée et ses 3 enfants condamnés à l'intérieur.


Aujourd'hui, Lee est un fantôme. Il n'existe plus que physiquement. Il n'arrive pas à se pardonner l'horrible drame. Mais comment le pourrait-il ? Son existence a-t-elle encore un sens après une tragédie de la sorte ? Sa manière de porter le deuil est l'exact inverse du fils. Si celui-ci masque sa tristesse par une parade avenante, Lee Chandler est devenu une enveloppe désincarnée et passive. Son visage est figé, constamment, rien ne semble plus l'atteindre. Seul le non-verbal trahit encore la présence d'une émotion intérieure. Sa posture par exemple, une tension nerveuse parcourt ses épaules, elles sont presque toujours voûtées. Il plie littéralement l'échine et lorsqu'il se retrouve en face d'une personne, il glisse ses mains dans les poches. Comme pour former un cocon. Une forme qui lui permet de se cacher, mais aussi et surtout une forme vide, dénuée d'aspérités.
Son regard en dit long également. Ses yeux sont perdus, comme isolé dans ce visage terne. S'il regarde encore ses interlocuteurs, il ne semble plus les voir...
Ici est le tour de force de la performance de Casey Affleck. Ce n'est pas tant ce qu'il dit qui est important, mais plutôt ce qu'il ne dit plus. Et paradoxalement, une réplique vers la fin du film illustre bien l'état d'asthénie qui est le sien lorsque Patrick lui demande de rester avec lui à Manchester. Il répond:«i can't beat it » qu'on pourrait traduire par un « je ne peux pas» où « j'y arrive pas » dans la version française. Compte-tenu de sa faute, et rongé de l'intérieur, Lee n'a aucun moyen, aucune ressource mentale pour pouvoir ne serait-ce qu'essayer de revivre là. Et cette réplique est maligne car si on la traduit littéralement, physiquement non plus, il n'a pas les armes pour lutter contre le poids tragique du passé.


Il est mort en réalité. Plus loin encore que l'agonie. Il est trop tard pour une rédemption intérieure. Il joue littéralement le néant émotionnel.
Mais où le film se montre retord et original dans sa façon d'aborder le pardon. C'est qu'il y a un basculement dans son accomplissement. Un retournement même. C'est bien le fils, Patrick, qui se fait père et Lee qui se fait enfant. Et par la dernière scène du film, on comprend ce changement de paradigme et surtout l'épreuve à venir.
Ils marchent tout les deux, sur une route montante, et s'échangent des balles. Lee laisse échapper à un moment la balle et dit a Patrick de laisser tomber. «Let it go» dans le texte. Et Patrick plutôt que de laisser partir la balle en contrebas de la route, la ramasse et relance l'échange.


Patrick devient le père pour Lee. Celui qui va le (re)connecter à la vie. Celui qui va le pousser en haut de la colline. Lee de par son drame s'est tué lui-même. Peut-être pas réellement, néanmoins rien ne lui survécut à l'intérieur. Le désespoir, petit à petit, à fini le travail d'auto-destruction. Il est aujourd'hui une matrice évidée, comme réinitialisée en position neutre. Mais La nature ayant horreur du vide, et désormais nu, Lee redevient un enfant, auquel tout doit être appris.
Ce n'est pas tant son nouveau statut de tuteur que sa position de fils qui va lui permettre de revivre.


Patrick fut forcé de grandir vite. Les conditions l'y obligeant, Il franchi les étapes en mode accéléré.
Il s'est émancipé par les épreuves, par le décès de son père.
L'adolescent à la lourde carapace est devenu homme.
Et sa mission désormais est d'apprendre la vie à l'enfant.

Liverbird
8
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le 1 mars 2017

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Liverbird

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