Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

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Lorsque Mank, majestueux et volubile, s'avance vers le (télé)spectateur de son galbe parfait, il y a comme un sentiment d'incompréhension en retour. Le poids artistique est imposant et la densité scénaristique trop considerable pour les convertir en une harmonie des sens. L'information en continue capitalise l'attention au point de ne savoir à quelle forme artistique ou litteraire se rattacher. (le verbe ou l'image ?) Le dernier David Fincher affiche donc un bon nombre de paradoxes à commencer par son statut d'oeuvre marbrée et opaque bien loin de l'opulence graphique et passionnée d'un Avé César des Frères Coen. Derrière la complexité de l'œuvre de Fincher, une vertu accordée en général aux expérimentations d'un autre David, Lynch celui-ci, condamnant son auditoire à revoir sans fin son œuvre afin d'en déceler le sens. Une boucle délicieuse appliquée au plaisir du revisionnage autorisant les plus curieux à gravir la paroi abrupte de Mank et à se délecter de ses secrets enfouis quitte à laisser les moins investis sur le carreau. L'absence d'accord tacite entre Fincher et le spectateur contribue à malmener les plus passifs. Pas de caractérisations excessives des personnages principaux durant leur introduction à l'écran, ni de dialogues explicatifs dans la fonction de chacun. Mank réclame de l'attention et un travail de fond comme si l'œuvre ne se suffisait plus à elle-même et qu'elle appelait à poursuivre une quête dans les livres d'histoire et de Cinéma. Se départir de règles cinématographiques aussi élémentaires consistent à élever son Art au risque de perdre une partie de son public. Louis B. Mayer, William Randolph Hearst ou Irwin Thalberg artistes indissociables des années 30 seront introduits comme s'il s'agissait de figures familières. Fincher n'était jamais parvenu à un tel niveau d'abstraction et de minéralité dans sa narration. Il y eu bien Zodiac et The Social Network qui tendaient de temps à autre la main au spectateur mais les rouages du grand film dossier adulte étaient déjà en marche. Il était en notre pouvoir, nous spectateur, de faire les connexions sans être maternellement pris par le bras. Apparaît alors le grand oeuvre de Fincher l'idée du film cerveau, celui qui relie les thématiques récurrentes de l'auteur au projet dans ses grandes largeurs. Mank marque un aboutissement intellectuel pour son auteur. L'aspect reflexif ne relève pas d'un débat philosophique au cœur de l'Art comme Kubrick pouvait l'entendre. (On rapproche d'ailleurs à tort l'auteur de 2001 à Fincher dont l'outil cinéma contribue avant tout à commenter une période où un contexte par l'entreprise d'un cerveau rationnel (Le Docteur Clemens dans Alien3), des cerveaux confus et chaotiques (Tyler Durden et John Doe dans Se7en et Fight club) ou d'un cerveau algébrique (Mark Zuckerberg dans The Social Network). Le siècle du consumérisme et celui de la communication vus par tant de témoins et dépeint par l'auteur de Gone Girl débouche aujourd'hui vers les affres de la création artistique. L'écriture, ce processus douloureux que Fincher déteste et délègue à chacun de ses films est étrangement l'objet de toutes les attentions du cinéaste. Herman J. Mankiewicz personne réelle devient le double fictif de Fincher et par répercussion le vrai cerveau de Mank. Welles étant considéré de son côté comme "un génie bien entouré" souvent dépassé par ses propos un brin prétentieux mais un génie tout de même. (in première.fr)


‌S'il va falloir, contrairement à l'usage reçu, confronter Mank à ses propres connaissances pour en saisir les tenants et les aboutissants, le récit sous forme de scénario en flashback apparaît comme une note d'intention dès plus lisible. Pourtant, le dernier né de Fincher entrechoque les continents artistiques et historiques comme témoin de l'évolution social d'un pays en proie au KO économique. Il ne s'agit donc pas uniquement de Septième Art et de son envers du décors mais de l'état dépressif d'une nation suite au krach boursier de 1929. Des conséquences qui toucheront les studios - à moins qu'elles ne servent d'excuses pour rogner un peu plus sur les salaires - Cette fois-ci, c'est par le verbe que le film s'expose à son spectateur à l'inverse de Zodiac qui usait de la narration visuelle sous la forme d'un San Francisco qui élevait ses structures de béton à toute allure comme un signe des temps nouveaux. Quelle partie prend alors l'ascendant sur l'autre ? L'histoire de la défaite électorale de Upton Sinclair au poste de gouverneur ou bien la création douloureuse du futur Citizen Kane ? Aucune. Bien entendu. Car ces continents créatifs et politiques tels que Fincher les conçoit se rencontrent avec la douceur d'un conteur hors pair. Dans la réalité, la rudesse du choc est sismique. Dans la fiction, elle en ressort comme passionnante car liée par une seule phrase : " L'Art n'avance pas sans le business". Ce qui force à penser que Mank est d'une certaine manière le plus grand film de David Fincher, c'est que l'auteur ne filme plus l'instant présent mais ce qu'il va advenir d'une oeuvre proclamée "Best movie ever" et d'une nation prête à basculer dans l'idéologie socialiste. Un programme contrecarré par le clan Hearst sous couvert de docus propagandistes propres à écoeurer le scénariste de Citizen Kane. Herman Mankiewicz servant ici de guide intellectuel à l'exploration invasive de sa sphère artistique et de ses penchants politiques. À aucun moment le titre Citizen Kane et la personnalité de Upton Sinclair proclamé antagoniste de gauche ne seront abordés frontalement si ce n'est au travers d'un meeting où le candidat sera shooté en plan général (s'agit-il de lui d'ailleurs ?) ou calomnié lors d'une conversation par ses rivaux capitalistes. Idem pour le premier essai de Welles dont on dessine progressivement les contours durant les échanges de Mankiewicz avec Marion Davies. Le premier nourrissant un peu plus de haine à l'égard de William Randolph Hearst futur Charles Foster Kane.


C'est bien là toute la force d'un projet qui avance masqué et ne se révèle qu'au détour de nos connaissances de l'histoire américaine et de la conception du citoyen Kane. Sous la plume de Jack Fincher (père de) la paternité de Kane est acquise. Herman est bien le premier artiste derrière le plus grand film du monde. Welles et son ego n'en seront que les formidables acquéreurs et transformeront les cellules grises en celluloide de génie.

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le 2 févr. 2022

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