"Si je passe à côté de toi je passe à côté de tout."

Après l’indéfinissable trace laissée par le curieux « Holy Motors », je ne pouvais ignorer le reste de la filmographie de Leos Carax.

Avec « Mauvais sang », l’un de ses films les plus reconnus et appréciés, le bilan est plus définitif.

Je n’ai pas aimé.

L’intrigue en elle-même, écrite par le réalisateur impliqué, ne passionne pas. L’idée de base, celle de ce mystérieux virus, métaphore poétique du sida, est une belle trouvaille. Elle se trouve cependant trop peu exploitée. Elle ne sert que peu l’histoire, elle n’est que prétexte expliquant le coup dans lequel le héros est impliqué. En fait, Alex ne semble pas amoureux de la rayonnante Lise –magnifique Julie Delpy-, pourtant à aucun moment il ne s’inquiète de son manque de sentiments lors de leurs rapports. Il y a aussi Thomas qui semble bien avoir contracté le virus, il en a en tout cas les premiers symptômes (il commence à perdre la vue). Alors pourquoi Lise n’est-elle pas aussi atteinte ? Il est pourtant bien dit que les deux partenaires sont touchés ?!

De plus, peu de scènes semblent essentielles à l’histoire. Le cœur du film présente de nombreux passages permettant d’approfondir les personnages. Ce qui aurait pu être dit en trente minutes l’est en une heure. Ainsi, les échanges nocturnes d’Alex et Anna sont sans saveur à cause de leur vacuité.

Les dialogues... le point qui fâche. Ce n’est pas leur écriture qui m’a gênée, puisque les répliques dégagent une poésie incroyable. Ce qui est plus embêtant, c’est que la façon qu’ont les acteurs de les réciter est horrible. Anna et Alex parlent d’une voix amorphe et monotone. De ce fait, les dialogues perdent de leur naturel. On dirait que les deux héros sont sur le point d’en finir avec la vie à chaque instant. Les instants d’émotion sont du coup ratés.


Ce reproche peut aussi être attribué au scénario. Alors que dans « Holy Motors » Carax se plaisait à perdre son spectateur dans l’abondance de folie, il appliquait en 1986 le procédé inverse. L’intrigue est conventionnelle et ses personnages simples. Alex vit dans un monde sans folie, où tout le monde y est effacé, lui y compris. Impossible de le regarder sans le comparer à l’étrange complexité de « Holy Motors » où tout est déluré et terre-à-terre à la fois. Je n’ai vu aucun second degré de lecture dans « Mauvais sang », aucune raison apparente d’expliquer tant de lenteur et de tiédeur.

Mais Leos Carax étant un réalisateur de talent, son film présente aussi des aspects qui envoient du rêve.

La qualité d’écriture des répliques (mais ça je l’ai déjà dit), la performance de Denis Lavant, sa façon pudique de filmer l’amour et les sentiments presque avec détachement, le choix d’accompagner l’un des meilleurs moments (celui qui fonctionne le mieux, et aussi l’un des plus rythmés : la course d’Alex dans les rues parisiennes) d’une chanson de David Bowie, la façon dont il a mis en scène la scène où Alex aperçoit Anna pour la première fois... Pour généraliser, la force de ce film de Carax, c’est la vision de l’homme, la façon dont il couche sur pellicule ses rêves.

Même s’il dégage une poésie incroyable, il manque à « Mauvais sang » la folie et le dynamisme que l’on retrouvera quelques années plus tard chez le cinéaste.

Bon, une chose dont je suis sûre : ce n’est pas aux anti-films français qu’il faudra conseiller ce film.
mewnaru
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le 10 sept. 2014

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mewnaru

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