il y a 5 jours
L’été qui craque
Avec Canto Due, Kechiche nous replonge dans la continuité immédiate de l’été solaire et suspendu du premier volet. On retrouve Amin, Tony, Ophélie et tous les autres comme si rien n’avait bougé,...
Enfin, la lumière. La projection sulfureuse d’Intermezzo, trip hypnotique, sensoriel et problématique enfermé dans une boîte de nuit avait propulsé la saga Mektoub dans les limbes, engluée dans les polémiques, les désaveux d’une part de l’équipe les blocages de droits.
9 ans après le premier volet, le Canto due refait donc surface, accentuant d’autant plus la nostalgie attachée à cette capsule temporelle de l’été 1994, où l’on retrouve instantanément ce qui n’attendait que d’être à nouveaux mis en lumière. C’est le premier choc que celui de ces retrouvailles, où l’évidence reprend instantanément ses droits : celle de cette jeunesse vivante, mouvante, désirante, contradictoire, de ces promesses de vie, ces élans et ces injonctions, ces déclarations démenties par des regards, ces revirements et ces sauts dans le petit vide de l’instant.
Kechiche filme comme personne cette matière vivante et la fabrique collective des sentiments : sa caméra observe et traque la circulation d’une énergie, des attractions et des résistances, laisse la spontanéité déborder du cadre, et capte, dans l’éphémère d’un hors champ ou la fugacité d’un œil trop brillant la sensibilité débordante de protagonistes improvisant comme ils le peuvent le jeu du lien à l’autre.
On pourrait cependant voir dans ce Canto due une forme d’assagissement, et, dans toute sa première heure, comme une sorte de contre poison à Intermezzo : en plein jour, sans musique, dans le calme de dialogues plus posés, les personnages prennent des décisions, et envisagent un après. Car la bulle de l’oisiveté estivale commence à se fissurer, assaillie par l’extérieur, l’appel de Paris, Los Angeles, la barrière de la langue, la science-fiction, les projets contradictoires qui construisent (le mariage, le projet de film) autant qu’ils se teintent de morbidité (l’avortement, l’épidémie du troupeau, la dépossession d’un script) : on sonne en somme le glas de l’ère du fantasme, des paroles où l’on s’allume collectivement, pour faire face à ce qui pourrait enfin relever de l’acte.
Pourtant, la vie ruisselle et contamine toute cette potentielle gravité : quoi qu’il arrive, il s’agira de manger, boire, fumer, danser et laisser les corps affirmer leur être au monde. Kechiche, s’il fait là aussi preuve d’une certaine modération, ne renie nullement cette part fondamentale de son cinéma, tout en y ajoutant le ressort salvateur de la comédie. Le personnage de Jessica Patterson en est le plus solaire exemple : comédienne américaine de séries mièvre qui le plaisir (du couscous, de l’alcool, du sexe) prendre le dessus sur les injonctions de l’image que son corps doit incarner à l’écran. Une actrice généralement invisible (Jessica Pennington est une comédienne de doublage) et qui devient, par la grâce du film, un personnage comme il en existe uniquement chez Kechiche : libre, mutine, intègre, rebelle, instable, insatiable. C’est aussi l’occasion pour le récit de s’ouvrir à de nouvelles variations, celles du soap, qui renvoie à l’imagerie d’Épinal du sud vu par les séries télévision (du type « Sous le soleil ») et joue, entre le pastiche et la parodie, sur les connexions improbables avec le naturalisme inhérent au cinéma de Kechiche. La surcouche fonctionne parfaitement sur le registre de l’humour, et notamment dans le lien des locaux avec la célébrité et toute la comédie qui se construit à l’hôpital, un peu moins dans le drama construit sur le dernier acte, qui intègre la gravité et l’excès de manière un peu moins spontanée.
Au milieu de bouillonnement, Kechiche n’oublie pourtant jamais l’essentiel, son pivot central : Amin. Toujours timide, toujours relégué au poste confortable de l’observateur/photographe/double du cinéaste, le taiseux laisse les autres trop parler à sa place, dans une série d’échanges formidables où l’on reporte sur lui des projets (le producteur, sa mère), des utopies (le cousin) ou, bien entendu, un désir irrépressible. Le cœur du film, son lien à Ophélie, occasionne des scène sublimes d’échanges où la perspective d’un bref séjour à Paris contient toute la solennité d’une déclaration réciproque. Alors qu’il photographiait Ophélie dans Canto Uno, Amin lui parle désormais : il intègre le champ, un temps durant, pour que les regards se croisent dans l’intermédiaire de l’objectif, et les yeux d’Ophélie n’ont jamais autant brillé.
Amin, qu’on voit pour une fois seul et qui va alors oser danser, en augmentant le volume, et que le destin, dans le dernier acte, semble condamner à revivre la scène inaugurale du Canto Uno, témoin voyeur d’une liaison torride à l’intérieur des murs, mais qu’il va conjurer en entrant jouer son rôle.
Ce rôle qui, dans les dernières minutes, fait littéralement exploser la parenthèse fantasmée : par l’irruption de la police et le retour du politique, qu’incarne également la figure de Clément, le grand absent dont le retour a tout du châtiment tragique. Amin porte, conduit, téléphone, trinque à nouveau, et court dans la nuit d’un récit qui refuse de s’achever, rejoignant cette cohorte de personnages, avec Adèle et Emma, qui continueront de vivre sous leur propre soleil quand l’obscurité de la salle arrivera à son terme.
(8.5/10)
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il y a 3 jours
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