Voilà un film très spécial (euphémisme) qui ne plaira pas à tout le monde, loin de là. Il en hérissera même probablement beaucoup, ne serait-ce que par le traitement de son sujet. D'abord, nombreux sont encore ceux qui se bouchent les oreilles et les yeux quand on leur parle de "science-fiction". Quant aux amateurs de SF, ils ne trouveront pas ce qu'ils voient d'habitude (même si le genre est caractérisé par une palette très diversifiée).
Et pourtant, il s'agit d'un long-métrage magnifique, qui parvient à transmettre une émotion et une réflexion rare.
Lars von Trier nous a de fait habitué à des beaux films souvent dérangeants. Celui là réussit à interroger le sens de la vie, bien mieux que le bancal "The Tree of Life", et sans doute (tout en étant assez différent) aussi bien que le troublant "Nostalghia" d'Andreï Tarkowsky.
Il est d'ailleurs tout à fait stupéfiant que ce soit "The Tree of Life" qui ait eu la Palme d'or au festival de Cannes 2011 et non "Melancholia" (peut-être est-ce à cause des frasques et des dérives verbales de Lars von Trier ?).
Le film est construit comme un opéra, avec une ouverture et deux actes. L'ouverture prend pour bande musicale celle de "Tristan et Isold" de Richard Wagner, et plonge le spectateur dans une série de scènes hallucinées, d'apparence plus oniriques que réelles. On comprendra par la suite qu'elles sont la combinaison des angoisses d'une des personnes principales (Kristen Dunst, prix d'interprétation féminine tout à fait justifié) et de ce qui se passe dans la seconde moitié de l'histoire.
Passé ce prologue, la première partie (ou le premier acte) tourne autour d'une parmi deux sœurs : Kristen Dunst et Charlotte Gainsbourg (la deuxième aurait d'ailleurs mérité de partager le prix d'interprétation féminine). La première sœur donc, célèbre un mariage magnifique dans une superbe propriété digne de la jet-set. Mais, alors que tout devrait concourir à faire de cette soirée le plus beau jour de sa vie, son monde intérieur s'écroule en une confrontation Bergmanienne (Charlotte Rampling en mère glacée est sublime). L'oscillation entre le drolatique et le grinçant est d'une grande justesse de ton. Sans doute quelques passages sont-il un peu cérébraux, ou exigent-ils une culture artistique pas si fréquente (la scène où Kristen Dunst remplace les peintures abstraites de Kandisky et autres, par Bruegel, Caravage ou les préraphaélites anglais...), mais tout est filmé avec grande maîtrise de la narration pour traduire un désarroi mental qui n'est jamais exposé, le rendant aussi plus fort.
Le deuxième acte prend pour personnage central la deuxième sœur (Charlotte Gainsbourg). Quelques temps plus tard, elle décide d'accueillir avec son richissime époux (Kiefer Sutherland, très bien aussi) une Kristen Dunst devenue totalement dépressive. Cependant, ce qui pourrait être une "banale" tentative de la part de gens "sains" de sortir une de leurs proches d'une situation de mal-être profond, prend une dimension totalement différente lorsqu'il s'avère qu'une planète vagabonde s'approche de la Terre et menace de la détruire.
Dans ce contexte, les plus forts au quotidien ne sont pas ceux qui se révèlent les mieux adaptés pour affronter ce péril. Kristen Dunst se montre en effet plus capable d'attendre cet astre, comme une Isolde ne pouvant accepter un amant humain (l'ouverture de l'opéra de Wagner revient régulièrement en leitmotiv musical).
L'alchimie psychologique fonctionne jusqu'au bout, et on en sort sans doute aussi secoué (mais pas pour les mêmes raisons) qu'après le visionnage de son très oppressant tout premier long métrage "Element of crime". Reste que cette fois, en dépit du sujet, on en sort léger.
LaureB
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le 27 nov. 2011

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