Dans la nuit noire de l'âme, il est toujours 3h du matin...

Sortie dans les salles l'été 2006 dans une indifférence déconcertante, boudé aussi bien par le public que par la critique, Miami Vice s'est souvent vu accuser à tort par son côté « ennuyeux », « mou », « sans énergie » par les mêmes qui encensent le vide abyssale des films d'appartements parisiens, les torches-culs que sont les prospectus sociaux filmiques ou encore le "saint crétinisme" des comédies bavardes françaises. Quand ce n'est pas le public lui-même qui aurait besoin d'une cure de désintoxication à force de mater des films épileptiques, filmés avec les pieds par des faiseurs sans saveur, œuvrant pour la cause « argent » en surfant sur la mode visuelle du moment et flattant par la même occasion l'intelligence crasse des d'jeunes de 7 à 77 ans ! Ils s'attendaient peut être à un énième « buddy-movie » façon les inspecteurs Riggs/Murtaugh dans L'Arme Fatale ? Erreur d'appréciation majeure. Ils ont omis le fait qu'ils ne sont pas devant un film du vétéran Richard Donner et encore moins dans une captation de Brett Ratner. Miami Vice est signé Michael Mann, maître du polar urbain. Un maître du cinéma ultra important mais qui de par son approche visuelle à la limite de l'expérimentale fait qu'il est bien trop souvent sous-estimé par un public lobotomisé (ah ! cette ignorance crasse) et par une critique bien trop académique (ah ! ces crétins instruits).


Michael Mann est un cinéaste de la nuit ou plutôt de lumière. Dans Collateral, il déambulait déjà sa caméra HD numérique dans un Los Angeles nocturne, déshumanisé, où seuls régnaient « les loups » au regard froid. Il récidive dans Miami Vice où il utilise cette fois la ville essentiellement de jour et confère à ses images une atmosphère torride et pleine de moiteur. Comme toujours chez Michael Mann le découpage, le choix des focales, les angles, la scénographie... absolument tout ici semble nous indiquer qu'il ne s'agit plus d'un lieu que l'on " voit " mais plutôt de l'état d'âme des personnages. Et essentiellement celui tourmenté de Sonny Crockett (Colin Farrell). Flic infiltré dans la mafia colombienne au côté de son ami co-équipier Ricardo Tubbs (Jamie Foxx). Chacun veille sur eux mutuellement. Quelques regards suffisent pour communiquer. Pas besoin de se confesser. Les deux savent les enjeux, les risques du métier. Ils en assument les moindres conséquences. Le risque se verra augmenter lorsque Sonny débutera une relation amoureuse avec Isabella (Gong Li) femme d'affaire implacable, amante et employée du baron de la drogue Rhésus.


Bien loin de la caractérisation classique et manichéenne : « L'homme qui se fait avoir par la femme fatale ». Ici, la dramaturgie est poussée à un niveau plus adulte comme plus conscient. Exit les amours d'ado joués par des adultes. Michael Mann filme pour les grands et s'adresse aux personnes d'expériences et responsables. Cette fois, c'est l'homme qui joue un double jeu (flic infiltré) et c'est la femme fatale la victime. Là où certains se sont crus intelligents de reprocher le choix de Gong Li pour un blockbuster US – qui attend la plus tard du temps un jeu démonstratif du comédien - Mann a su justement apprécier le fort côté cérébral de la comédienne pour en dégager tout l'esprit du personnage. Isabella est une femme glaciale mais aimante et sensible au passé douloureux qui ne demande qu'à vivre la vie d'une simple femme. Derrière donc le buddy-movie à l'amitié virile, se cache en réalité une love story dramatique où lorsque l'amour atteint son firmament, le film prend des allures quasi métaphysiques.


Il suffit pour s'en convaincre de regarder jusqu'à la sécheresse rétinienne les deux séquences les plus emblématiques du film : La première : la scène où Crockett, alors en plein interrogatoire avec un indic dans une villa somptueuse en bord de mer, Crockett semble « s'évader » lors d'un regard appuyé vers l'horizon. Le volume des dialogues s'atténue et seule compte la vision de cet horizon, entre ciel et mer. Durant ce court laps de temps, le film semble soudainement en flottaison... On distingue une rupture métaphysique. Un désir ? Un manque ? Un songe ?
Les réponses à ces questions viendront dans la deuxième séquence emblématique de Miami Vice. Séquence instantanément culte ! Filmé d'un oeil quasi divin par Mann : Crockett invite Isabella à boire un mojito de l'autre côté de l'île. La musique de Moby « One of these mornings » fait son apparition faiblement. Sonny emmène Isabella à bord d'un offshore. S'installe alors un court dialogue, qui prend des allures de joutes verbales filmé champ/contre champ qui vise à exposer le flirt naissant par une rivalité homme/femme : Isabella, cause pour montrer la femme qui se respecte en elle. Sonny agit. C'est par cette attitude qu'il lui montre qui est l'homme. La discussion se conclura d'ailleurs par un geste machiste mais masculin donc protecteur (désolé mesdames) en « bouclant » la ceinture de sécurité d'Isabella comme pour lui clouer le bec ! De là, le film atteint soudainement des hauteurs stratosphériques. Le volume de la musique augmente. Le temps semble suspendu comme cet offshore lancé à vive allure, qui décolle de la mer et semble ne jamais atterrir. A l'image de cet amour naissant suspendu à l'horizon. Entre ciel et mer. Entre flic et voyou. Tout simplement Brillant !


Miami Vice s'écoute aussi bien qu'il se regarde. Peu de dialogue. Soutenu par une bande originale excellente avec des chansons aux rythmes cubains et autres chansons rock électrisantes (essentiellement du groupe Audioslave) quand ce n'est pas la musique toute en retenue de John Murphy qui soutient les images. Non pas pour leurs voler la vedette mais pour en éclairer les âmes qu'elles contiennent. La musique atteindra sa haute intensité harmonique avec des envolées électriques signées par le groupe Mogwai et le morceau « Auto Rock » lors de la conclusion du film. Enfin et plus curieux, de film en film, Michael Mann semble distiller un message personnel : celui d'un homme qui – de par sa condition naturelle – est incompris : les héros de Mann sont souvent seuls avec leurs espoirs et aspirations que personne autour d'eux ne peut comprendre. Un espoir qui a souvent comme reflet l'amour porté à une femme. Une femme qui ne pourra jamais comprendre – de par sa condition naturelle – le choix d'un homme. D'un vrai.


Miami Vice est donc le premier polar immersif et métaphysique ouvertement « anti kids ». Une descente en apnée dans les profondeurs noires de l'âme. Au contraire d'un Michael Bay et consorts, Michael Mann filme, avant toute chose, les états d'âmes de ses personnages dans un rapport au flux tendu Temps/Espace. Voilà ce qu'est Miami Vice. Voilà la raison principale de l'échec du film au box office. Trois scènes d'actions – pourtant extrêmement efficaces et intenses - c'est bien trop peu pour le public intoxiqué aux films bourrins et autres films auteurisants adeptes de la masturbation du commentaire.


Pour ma part donc, je préfère m'évader vers une lointaine idylle... Mes lèvres ont encore le goût du mojito. Mon âme, éprise de calme et d'imprévu, se reflète dans mon iris de cristal bleu électrique et au milieu un sillage semble esquisser à jamais le visage d'une femme, dans l'écume d'un horizon suspendu.


© T.L
Le temps est une chance

Tirry
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le 22 mars 2011

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