Il n’y a pas forcément besoin de tenir le spectateur par la main, de dévoiler des indices dans chaque recoin des scènes pour qu’il comprenne et adhère à l’histoire, parfois la simple beauté du film et un fil conducteur caché, dissimulé, et je l’admets difficile à déceler permettent d’accrocher à un comte narré juste sous nos yeux.
Oui, car Mulholland Drive est un conte, ou plutôt une tragédie, dans laquelle les plans, les décors, la musique d’Angelo Badalamenti, le son, absolument tous les acteurs et leur jeu, la photo de Peter Deming, mais surtout un cinéaste, aussi scénariste, sont à leur firmament et délivrent une mise en scène narrative à couper le souffle, à faire passer du rire aux larmes, de l’angoisse au rire, du doute à la délivrance. Même s’il faut se poser une quantité innombrable de questions, tenter de faire des rapprochements et se demander si on n’a pas lancé un épisode de Twin Peaks, si on arrive à se laisser porter par des séquences qui n’ont pas à première vue l’air de coïncider, il faut tout de même essayer de prendre part à ce voyage spirituel, cauchemardesque, ou alors tout simplement réaliste.
Réaliste, c’est ce qui est encore plus dur à accepter quand on comprend le message délivré par le réalisateur. Mais une histoire qui paraît pourtant si onirique et invraisemblable finit par avoir des allures de rêves éveillés auxquels la vie peut parfois ressembler.
Mulholland Drive narre l’histoire d’une jeune femme qui décide de partir vivre son rêve, tenter l’impossible dans un monde nouveau, périlleux, mais dont le destin et la relation avec ses proches vont être brisés par un sort funeste. Quand on sait à qui ce message est destiné, car redoutant qu’il s’agissait de quelque chose de la sorte, je ne pouvais pas imaginer que l’histoire racontée dans ce film pouvait tant se rapprocher de la réalité des faits.
Betty, ou Diane, décide de partir dans l’ouest américain pour réaliser son ambition ultime de devenir une star dans le grand ouest américain. Je parle ici bien sûr de l’ordre logique de l’histoire, et non de l’ordre décrit dans le film. Et Betty réussit au départ parfaitement son entrée dans ce nouveau monde : elle est acceptée par son entourage, ses nouveaux voisins, ses futurs patrons, réalisateurs, collègues, agents, assistants et tout ce que vous voulez. Elle s’éprend même de plusieurs âmes passantes, sans peut-être l’avoir prévu au commencement. Elle connaitra l’amour, un amour extrêmement fort mais pas inébranlable, d’une durée inconnue mais non éternelle. La dureté de la vie, un esprit pas assez serein et solide pour encaisser une notoriété et un bonheur soudain, ou tout simplement le hasard des choses va faire que la vie de Betty va être chamboulée. Une rupture, un décès, peut-être y-a-t-il plusieurs alternatives à la narration ou alors n’y en a-t-il pas vraiment d’avérée, mais la vie de Betty va valser et cette dernière va tomber dans des excès qui ne pourront être inversés et qui vont la mener à des erreurs, de mauvaises prises de décisions.
Lynch nous montre la force de cette relation entre deux femmes, les moments parfaits comme les moments difficiles, parfois vécus dans le film par un autre personnage mais dont les propos sont simples ou alors très durs, mais surtout des détails à la beauté touchante et renversante : une rencontre, une relation très personnelle, un spectacle et un concert, un entretien et une lecture de scénario parfaite, à l’inverse d’un accident de voiture, d’une mort, d’un cœur brisé, d’un enfer.
Et tous ces passages de la vie de Betty sont agencés dans un ordre confus, mélangé, et parfois incomprehenssible ou avec une impression que nous sommes dans le rêve du personnage, que ça ne se passe pas vraiment comme ça dans l’histoire, ou que le réalisateur s’est lui-même perdu. Mais c’est juste que cet ordre confus est la tournure irrémédiable qu’a pris la vie de Betty et l’état dans lequel elle a fini ses jours, jusqu’à mettre fin à son existence, parce que le poids de son manque réel, ou alors le poids de ses erreurs passées était trop lourd à supporter, et que l’absence d’une personne qu’elle aimait tant et à qui elle l’avait dit trop de fois ne lui donnait que cet échappatoire et lui faisait sentir que la vie ne valait plus la peine d’être vécue.
Est-on encore à la fin dans un rêve, ou alors n’y avait-il jamais de rêve mais seulement la réalité. Rêve ou réalité ? Ou plutôt cauchemar ou réalité ? Telle est la question que se pose le spectateur tout au long du film, ou du moins, telle est la question que je me suis posé pendant les deux heures de ce petit chef d’œuvre qu’est Mulholland Drive. Vertige, ascenseur émotionnel, voire mal de tête? Peut-être. Mais pour un travail d’un génie pareil, tant d’émotions procurées et une dernière demi-heure si intense, pourquoi pas.
Et je dois avouer qu’écrivant cette critique après que vingt minutes se soit écoulées depuis la fin du film (il m’a fallu dix minutes pour m’en remettre et dix autres pour me décider à écrire une critique tout en écoutant et réécoutant la musique magique du film), je ne sais peut être pas vraiment si je connais la ou les réelles réponses. Mais c’est pourtant les yeux encore ébahis, les oreilles encore émerveillées et le cœur lourd que je dévoile ces hypothèses de mon appréhension d’un film magnifique et d’un réalisateur surdoué, dont je n’ai que plus hâte de découvrir toute l’intégralité de sa filmographie.
RIP. Jennifer Syme.