Nope
6.8
Nope

Film de Jordan Peele (2022)

J'accorde un certain crédit aux critiques du Masque et la plume : je considère que plus on a de culture plus on est exigeant, et on ne peut dénier à Michel Ciment, Xavier Leherpeur ou Pierre Murat leurs vastes connaissances en matière de cinéma. Ils étaient dimanche dernier en compagnie d'une nouvelle, Ariane Allard. Pierre Murat cria à l'imposture, mais les trois autres, en particulier les deux hommes, encensèrent le dernier opus de Jordan Peele. Pour le vénérable Michel Ciment, il s'agirait de rien moins que "le meilleur film tourné par un Noir de l'histoire du cinéma". Bigre. Il ferait mieux que Steve Mc Queen alors ? Pas tout à fait.

De Jordan Peele, j'avais aimé Get out : il y avait là, mêlés aux codes du cinéma d'horreur, une étrangeté inquiétante et un parti pris singulier qui formaient un beau cocktail. Mais, déjà, je déplorais l'abus de jump scares, le cliché du genre. J'étais tout de même curieux de voir son second long-métrage, Us. Même qualité, un peu amoindrie, même défaut, accentué : plus gros budget, plus grosse pression suite au succès de Get out, notre homme en fait trop, ce qu'il faut absolument éviter en matière d'horreur.

Je me disais donc que j'en avais assez vu de Jordan Peele, et voilà que Le masque décrit ce Nope comme un événement incontournable. Allez, je lui laisse sa chance, même s'il faut en passer par l'un de ces détestables multiplexes où l'on paie cher sa place, où il faut supporter un tunnel de pubs et de bandes annonces, avant de subir le bruit et l'odeur du pop corn.

Comme les deux précédents, cet opus-là commence bien : on retrouve cette étrangeté inquiétante, que ce soit dans la scène d'ouverture aboutissant à un chimpanzé ivre de sang sur le plateau d'une sitcom, une chaussure mystérieusement dressée vers le ciel, ou dans la suivante au ranch, des projectiles atteignant un vieil homme sur son cheval.

Hélas, Jordan Peele ne tarde pas à sortir la grosse artillerie, façon Yankee musclé : les jump scares se succèdent, accentués par des basses boostées à mort. Le film nécessiterait des bouchons d'oreille : je connaissais ce truc absurde dans les concerts, pas encore au cinéma. L'image n'est pas splendide comme l'a prétendu Ariane Allard, en tout cas pas selon mes critères : elle suinte le fabriqué, l'artificiel. Est-ce la technologie Imax ? Je ne suis pas assez connaisseur, mais je constate que de plus en plus de films, américains surtout, ont ce côté artificiel qui caractérise les jeux vidéos. Rédhibitoire pour moi, ça. L'usage immodéré des effets spéciaux en rajoute une couche. Les personnages aussi sont des clichés : le duo antagoniste du calme (OJ) et de l'excitée (sa soeur), le vieux briscard blasé à la voix ultra grave (le chef op'), la star idiote qui se trémousse sur le plateau, l'héroïne sportive qui triomphe de tout façon Alien...

Si ce n'était que vulgairement réalisé mais sans prétention, on pourrait se montrer indulgent, comme je le suis pour un Coupez ! par exemple. Mais ça se veut profond. D'ailleurs, le film s'ouvre sur une citation biblique, un bon truc pour paraître cultivé et intelligent. Le problème c'est que, exactement comme dans Us, le propos du film est pour le moins confus. En réfléchissant, on se dit qu'il s'agit d'une revanche des opprimés - dans lesquels on mettra pêle-mêle les Noirs, les animaux et les homosexuels - sur le système médiatique. La bête se venge en avalant tout ce qui lui passe sous l'échelle de fanions (un truc assez ridicule). Oui, elle avale même les dits-opprimés, parce que sinon ce serait trop simple, et Jordan Peele veut paraître subtil. Pour corser le tout, il ajoute une mante religieuse, une injonction à ne pas regarder l'extraterrestre dans les yeux (la bête est susceptible), la scène du chimpanzé maladroitement reliée à l'intrigue principale, un motard glaçant qui sort de nulle part, une baudruche qui (sans qu'on comprenne pourquoi) fait exploser en vol la bestiole. L'ensemble est rythmé par des cartons portant les noms des chevaux. C'est à la fois abscons et idiot : une vraie performance. La revanche des opprimés, c'est le truc de Tarantino (typiquement sur ce sujet avec Django unchained) qui, lui, le fait presque toujours avec talent et dans un style personnel.

A posteriori, on comprend - au besoin éclairé par les bonnes plumes de SC - d'autres sous-textes. Il s'agit d'un retour aux sources puisque les premières images animées furent celles d'un Noir sur un cheval. Or, dans la dernière scène, le chef op' de génie filme avec une caméra mécanique OJ sur son canasson. Le monstre-aérien-qui-ressemble-à-une-soucoupe-mais-n'en-est-pas-une avale ses proies comme la société médiatique dévore ses enfants chéris. La recherche constante de l'image qui fera le buzz tout comme la confiance dans la technologie aboutissent à des impasses.

Mais la forme influe sur le fond. Le problème que j'ai eu, c'est que face à un traitement aussi cliché du sujet, je n'ai même pas eu envie de comprendre. Je n'ai vu qu'un pensum même pas effrayant, même pas drôle, même pas émouvant. Je n'ai pas apprécié à leur juste valeur les quelques bonnes idées du film : le nuage qui ne bouge pas ou les air dancers multicolores qui s'affaissent lorsque le monstre approche. Voilà qui est mystérieux et inquiétant, et qui ne recourt pas aux poncifs du genre. C'est hélas l'exception dans Nope.

Comme chez Tarantino, l'autre truc "intelligent" de Jordan Peele c'est de truffer son film de références. Une partie de Spielberg est ainsi convoquée. En premier lieu Les dents de la mer puisque le film peut être vu comme un Jaws inversé, vers le ciel plutôt que vers la mer (et sans dents) : la scène du père sur son cheval correspond à la baignade de la jeune femme qui disparaît, le village de Jupiter rappelle la station balnéaire, l'équipe qui se constitue (avec le vieux briscard également) rappelle celle qui part chasser le requin en mer. On trouvera aussi un clin d'oeil à Rencontre du troisième type (les voitures aux phares allumés la nuit dans la plaine), à La guerre des mondes (les phénomènes surnaturels qui annoncent l'arrivée du monstre) et à E.T. (la scène sous la table avec l'enfant qui avance son doigt vers celui du chimpanzé, E.T. à l'envers donc là aussi, puisque tourné vers notre ancêtre). En poussant un peu, les projectiles qui s'abattent sur le ranch au début pourraient faire penser à la scène du débarquement dans Il faut sauver le soldat Ryan. J'exagère, d'accord. La référence à E.T. mérite qu'on s'y attarde, car ces deux doigts qui se joignent (eux-même citation de la fresque de Michel-Ange) n'ont pas d'autre justification que de citer le film de Spielberg. Jordan Peele est pris, ici, en flagrant délit de cabotinage. Je ne suis pas contre les références, elles peuvent être savoureuses, mais à condition qu'elles s'inscrivent dans le récit et le servent.

Pas un hasard si c'est Spielberg qui est le plus cité : comme Spielberg, Jordan Peele est un faiseur, mais en moins talentueux, et en plus prétentieux. Résultat, comme pour Don't look up, autre film très surestimé à mon sens, j'ai levé pendant 2h10 les yeux au ciel. Mais de consternation.

Jduvi
5
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le 21 déc. 2022

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Jduvi

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