Arrivé à la fin de Nouvelle Vague, on est rapidement tenté de se demander si Richard Linklater a conscience que Godard aurait détesté son film. Mais une autre interrogation, plus troublante, succède à la première : Richard Linklater lui-même aime-t-il réellement le film de Godard auquel il prétend rendre hommage ? Qu’en a-t-il tiré ? Quel est son rapport à À bout de souffle ?


Il est difficile de répondre à cette question parce que de fait, Nouvelle Vague est assez explicite quant à l’importance du film de Godard : il a prouvé avec brio au monde que l’on pouvait se passer des conventions, casser les codes préétablis, envisager un cinéma plus proche de la vie, et tout ça à petit budget pour que l’auteur garde la main mise, etc. Tout ça est dit de manière très directe par les scènes de tournage d’À bout de souffle, toute la démarche de Godard est expliquée par les dialogues et épiloguée par un panneau final célébrant la réussite du film et son entrée au panthéon du cinéma. Pourtant, sur la forme, Linklater n’a appliqué aucune des leçons de Godard. Son film est réalisé comme n’importe quel biopic standard (le biopic étant peut-être le genre anti-cinématographique par excellence). Le réalisateur filme au passé, en faisant de la reconstitution historique doublée d’un pastiche de film en noir et blanc, au lieu de filmer au présent, et il demande à ses acteurs de composer un rôle imitant la manière de parler des véritables protagonistes, ce qui, comme dans la quasi-totalité des biopics, a pour résultat de nous plonger en pleine vallée de l’étrange : on se retrouve face à un Rossellini singeant un accent italien, un Godard et un Belmondo qui forcent une diction étrange dont on sent qu’elle n’est pas du tout la leur, et un Melville, un Chabrol et un Bresson qui sont juste complètement à côté de la plaque.


Les dialogues n’aident pas à rendre les acteurs crédibles. On est face au cas typique du script qui cherche à faire passer le maximum d’informations aux spectateurs en donnant l’impression de conversations anodines, et c’est complétement raté, du genre « Mais si, Jean-Luc, tu ne te souviens pas quand en 1958 tu as dit que ceci cela… ». La première demi-heure est à ce titre assez catastrophique et ça s’améliore largement quand le tournage d’À bout de souffle démarre, parce qu’au moins, l’intention éducative du film de Linklater passe davantage pas l’action, le faux making-of en lui-même, que par les dialogues.


Le texte de fin aussi est très flou quant au rapport que Linklater entretient avec Godard : « Aujourd’hui, À bout de souffle est considéré comme… ». C’est comme si le cinéaste se détachait complétement du sujet dont il parle. Ce n’est pas qu’il n’a pas compris À bout de souffle, c’est qu’il l’a trop vite compris. Il l’a compris vite fait et est passé à autre chose. Il semble nous dire : « Godard a libéré le cinéma, et c’est maintenant chose accomplie. Grâce à lui, nous avons le cinéma que nous avons aujourd’hui, laissons le comme il est, il est très bien comme ça. ». À bout de souffle devient une pièce (de m)usée, un morceau de d’Histoire érigé comme une statue, de la matière morte, et non un objet vivant à questionner, à interroger. Qu’est-ce que ce film a apporté qui nous soit resté ? Ou pas resté ? Qu’est-ce qui est réussi ou pas réussi ? Qu’est-ce que Linklater reprend à son compte ? Et quelles règles devraient aujourd’hui, en 2025, être brisées pour inventer de nouvelles formes, pour poursuivre le geste de Godard ? Ces questions constitueraient un vrai rapport problématique au cinéma de Godard, mais Linklater fait un biopic, un éloge, donc il n’a en réalité aucun rapport problématique avec Godard et ne dialogue pas avec lui.


Son film est doublement anti-godardien : pas seulement vis-à-vis d’À bout de souffle, mais surtout vis-à-vis d’Histoire(s) du cinéma. L’ambition de Nouvelle Vague, rendre hommage aux images créées par d’autres, était pourtant proche de celle que Godard a eu quand il a fait son célèbre documentaire. Ces deux films auraient réellement pu dialoguer et c’est là que Linklater aurait pu repenser sa forme en fonction de celle que Godard a perfectionnée avec Histoire(s) du cinéma. Dans ce film, il ne se contente pas de déconstruire les formes existantes comme il l’avait fait dans À bout de souffle, mais il construit une forme nouvelle et beaucoup plus aboutie, une forme nécessaire pour accomplir ce qu’il cherche à accomplir, faire dialoguer des images venues de tous horizons. Voilà une œuvre qui considère que les films, la peinture, les images d’archive, les textes, la musique sont de la matière vivante avec laquelle de nouveaux agencements peuvent être créés par le montage. Ce film-là pulvérise Nouvelle Vague parce que quand on en sort, c'est avec l’appétit dévorant de tout voir, de tout lire, de se lancer à corps perdu dans le cinéma et les autres arts, et surtout avec l’envie de comprendre, de questionner, pas de ranger quelque chose dans une case de sa tête qui s’intitulerait « patrimoine ». C’est ce genre d’impulsion que devrait donner un film qui se présente comme un hommage.

BillCarson1966
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le 12 oct. 2025

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Bill Carson

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