Combien sont-ils, ces films emblématiques, ces films-jalons de l’histoire du cinéma ? On ne parlera pas ici de films culte, ça il y en a des tonnes (et dont le statut même de «film culte» reste trop souvent galvaudé), mais bien de films ayant (ré)inventé le cinéma, ayant établi sa grammaire et son écriture. Combien ? Citons les plus évidents, citons Le voyage dans la lune, Le cuirassé Potemkine, Metropolis, Citizen Kane, Psychose, 2001 : L’odyssée de l’espace, Le parrain… Et puis À bout de souffle donc qui, en 1960, allait bousculer le paysage du cinéma français, et même international, en devenant LE film-référence du mouvement de la Nouvelle Vague déjà initié, entre autres, par les films de Chabrol, Truffaut, Varda et Rivette.
À bout de souffle (et le cinéma de Godard en général) allait ainsi marquer toute une génération de futurs cinéastes à travers le monde, dont Richard Linklater. «La Nouvelle Vague a changé ma vie. Quand j’ai vu À bout de souffle et d’autres films de la Nouvelle Vague, cette liberté m’a fasciné. Je n’y connaissais rien, mais je sentais ce que ce cinéma avait de cool, de joyeux et de révolutionnaire», a expliqué Linklater. Mais raconter la genèse (Godard, au contraire de ses petits camarades qu’il jalousait quelque peu, n’était pas encore cinéaste proclamé, seulement critique, certes reconnu, des Cahiers du cinéma) et le tournage d’À bout de souffle, c’est aussi raconter une époque.
Une époque où le cinéma cherchait à se faire autrement, à changer les règles et les habitudes, un cinéma «sauvage» s’inscrivant en totale rupture avec celui «à la papa» d’après-guerre. Une époque où une bande de jeunes frondeurs pouvait (à peu près) tout se permettre (il faut voir Godard, pour on ne sait quelles raisons, décider certains jours qu’il ne tournerait pas). Le récit suit une trame (un peu trop) linéaire qui a du mal à se défaire de son côté appliqué, et Linklater, à l’instar de Godard mettant en scène À bout de souffle, aurait pu s’essayer à l’accident, à la digression, au spontané. Parce qu’en l’état, Nouvelle Vague, au regard de l’œuvre dont il entend retracer l’histoire et célébrer l’héritage, paraît bien sage et manquer… de souffle.
Cela n’empêchera pas, malgré tout, de savourer les nombreux plaisirs que procure le film. À commencer par la figure de Godard en réalisateur débutant, à la fois fantasque et brillant, horripilant et touchant, bref génialement insupportable. Et puis la reconstitution du Paris des années 60, bluffante de réalisme. Et puis l’incarnation, toute aussi bluffante, des différentes personnalités d’alors (Godard, Belmondo, Seberg, Coutard, Melville…), portée par un casting rafraîchissant et d’une ressemblance presque bouleversante (même Tarantino, à Cannes, ne s’en est pas remis). Et puis, bien sûr, Nouvelle Vague donnera furieusement envie de (re)voir À bout de souffle, de le (re)découvrir en en connaissant désormais les petits secrets et, surtout, la miraculeuse magie.
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