il existe un crime de sexe, les crimes d’amour sont innombrables.

Nymphomaniac est typiquement le genre de film un peu provoc qui sait ce qui est bon, et qui à sa beauté classique très formelle (contemplative) sait doser performance d’acteur, scène choc et art d’exposer les subtilités comportementales de chacun des personnages qu’il met en scène. Commencer par un écran noir accompagné d’un son liquide, puis ouvrir la pellicule sur du Rammstein soutenant des images à la force contemplative vivifiante, et vous avez déjà une merveilleuse idée du potentiel détonant du cocktail. Et ce n’est que pur introduction formelle, le film déborde quant à lui de symboles, de thématiques et de pistes psychologiques si variées, et si cohérentes, que le film tient toutes ses promesses, tout en se révélant surprenant pour ses choix avisés. Jamais enfermé dans une lecture manichéenne (la narratrice se décrit comme une souillure corrompue, son auditeur se distingue comme un soutien empathique et bienveillant), il aborde avec simplicité, humour et franchise, différentes étapes de l’apprentissage amoureux de Joe. Sous l’angle de la sensibilité pendant la jeunesse (les étranges sensations que procurent les frottements des zones érogènes, la fascination pour la nature inculquée par le père (très belle figure de père d’ailleurs, loin de toute figure oedipienne parasitant leur relation)), puis peu à peu sous l’angle de la découverte provoc de l’adolescence. Un dépucelage avec Shia Labeouf dans un rôle délicieusement à contre-emploi (il joue un homme faible à l’opposé de la véritable virilité, essayant désespérément d’acquérir la carrure qu’il n’aura jamais) qui amorce bien les jeux de saute-mouton qui feront par la suite l’essentiel du programme. La métaphore avec la pêche pourra sembler lourde (on ne cesse d’y revenir pendant tout le chapitre), elle est pourtant parfaitement appropriée, dans sa signification autant que pour les multiples éléments qui la composent, et qui trouvent un sens à chacune des étapes du parcours de notre adolescente.

Passons le détail des chapitres, chacun se trouve chargé d’un contenu incroyablement riche, ainsi que d’une esthétique propre (le chapitre 4, intégralement en noir et blanc). Les aspirations changeantes de notre héros la conduisent vers le blasphème en guerre contre l’Amour (« il existe un crime de sexe, les crimes d’amour sont innombrables. »), la faiblesse feinte pour exciter la lubricité, les attentes des hommes et leur comportement en face de la provocation… Autant de sujets cohérents que le film traite avec une virtuosité souvent palpable, et édifiante sur de pareils sujets sociétaux. Question performance d’acteurs, on retiendra surtout le caméo de Uma Thurman en mère de famille cocufiée par notre héroïne, qui s’incruste dans l’appartement de Joe et se livre à une scène de ménage éprouvante, avec la hargne de la famille détruite par autant de libertinage gratuit. Une sacré scène qui résume les remords et dilemmes moraux habitant le personnage de la nymphomane, que le film se plaît peu à peu à redéfinir. La nymphomane n’est plus la femme fatale insatiable qu’on s’attendait à trouver, mais plutôt la somme de différentes expériences sexuelles, cumulant les caractères d’hommes pour former l’harmonie recherchée. Un discours finalement plutôt limpide (finalement, c’est un parcours de vie lisible et ordonné), que l’ultime rebondissement jette sur un nouveau terrain, augurant du meilleur pour une seconde partie qu’on espère au moins à l’égale de ce grand feu d’artifice d’ouverture. 2014 commence du bon pied !
Voracinéphile
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le 12 janv. 2014

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