Depuis la sortie de Sur le chemin de la rédemption en 2017, le cinéma de Paul Schrader semble plus que jamais prendre goût à suivre des personnages plongés dans le vertige de leur propre existence et où leur introspection constitue une partie majeure des récits du cinéaste en passant notamment par la voix-off. Oh, Canada s'inscrit parfaitement dans cette continuité où la narration du journal intime - plus ou moins exacts et ambigus - de son protagoniste Leonard Fife (interprété par Richard Gere et Jacob Elordi) est une nouvelle matérialisation des signes du temps qui passe et d'une solitude existentielle de plus en plus rongée et hantée par la mort. Dans ce chaos de l'espace et du temps, du doute entre le vrai et le faux, des allers et retours incessants… Schrader s'attache à des moments de vie, à des images qui vont, viennent et se mélangent dans la tête de son protagoniste. Si sa dynamique aurait pu facilement se heurter à une forme de complaisance dans sa structure désordonné, elle est étonnamment soutenue le savoir-faire de son montage et la transformation de ses séquences en un espace mental tamisé . par un simple raccord ou un détail caché sur un miroir au fond d'une chambre, le corps de Richard Gere peut devenir celui de Jacob Elordi et inversement, ou les deux hommes - de deux générations différentes - coexistent dans un même plan.
Malgré sa durée resserrée (1h35) qui ne lui permet pas toujours le déploiement d'une émotion totale à la vue des grandes confessions annoncées qui ne découleront jamais sur les révélations attendues, c'est pourtant sur ce ressenti trouble et pesant du temps que Oh, Canada se révèle être le plus touchant et que Schrader filme avec le plus de sincérité et d'inquiétude - tout comme l'avait fait David Cronenberg avec Viggo Mortensen - les dysfonctionnements progressifs d'un corps vieillissant. Au-delà du fait de savoir que son œuvre lui survivra, aux travers de ses affrontements contre ses démons intérieurs et les frontières qu'il a choisi de franchir, Leonard incarne finalement une condition humaine qui, enfermée dans un corps, ne permettra jamais de dire à temps tout ce qu'une personne doit dire avant de partir.