Vous savez, s'y connaitre en Histoire a ses avantages. Ça rapporte de l'argent, ça donne du succès auprès des femmes, et ça rend les mensonges beaucoup plus crédibles. Par contre, ça empêche un peu d'apprécier n'importe quelle oeuvre de fiction historique.


Pas seulement parce que plus on s'intéresse à un sujet, plus on devient un cuistre pédant, même s'il y a de ça. Mais aussi parce qu'il est très dur de retracer des événements du passé de façon à la fois romancée et un peu authentique. L'Histoire, en effet, a la fâcheuse tendance à ne pas suivre les conventions d'un bon scénario, et il faut donc boucher les trous, creuser les caractères, extrapoler les relations, et placer les bons et les méchants.
Dans "Outlaw King", les auteurs ont en tout cas choisis leur camp. Dans la grande tradition du provincialisme européen, qui est un peu l'anticolonialisme du pauvre, les écossais de la première guerre d'indépendance y sont présentés comme presque universellement bons. En fait, on aura droit à la totale de ce qu'on pourrait appeler la "septentrionaphilie médiévale". Ces braves gens du nord sont simples, frustes, poètes, bagarreurs, généreux, fêtards, et ils ne pratiquent le féodalisme que par hasard. Tout le contraire de leurs voisins du sud, qui sont précieux, formels, coincés, avides et efféminés. Un peu comme si quelqu'un avait lu le trône de fer, mais seulement les passages où les Stark apparaissent. En bref, ces vieux clichés hérités de la fantasy des années 30 continuent à nous poursuivre jusque dans les films historiques, wee lad.
Sans trop de surprise, un conflit présenté comme ça n'aura pas de protagonistes outrancièrement complexe. Chris Pine, qui joue un Robert le Bruce imperturbable, semble notamment s'acharner à présenter aussi peu de traits de personnalité qu'il est humainement possible sans être fait à 90% de polystyrène. Il y est aidé par sa femme, une bien meilleure actrice (Florence Pugh) dont le rôle se résume ironiquement à dire qu'elle peut elle aussi avoir une fonction dans l'intrigue malgré son sexe (raté) et sa fille, qui semble chercher à ouvrir un débat sur la nécessité de remplacer les enfants acteurs par des acteurs nains adultes. S'y ajoutent des frères parfaitement impossible à différencier les uns des autres, des compagnons piqués à Braveheart, des nobles aux motifs flous, et, bien sûr, des anglais tous plus fourbes et cruels les uns que les autres.
En conséquence (tout est lié), l'intrigue avance de façon un peu artificielle, beaucoup trop vite, en fait, pour un film de 2 h. Passée la 30ème min, toute tentative de mieux connaître notre personnage principal à travers sa vie de famille est abandonnée, à la suite de quoi ses motivations nous serons tout simplement étalées dans la face : il est soudainement patriote, et il veut être roi. Comme il a une tête d'élu, ça marche. Les anglais passent leur temps à ricaner comme des méchants de série B, les gentils font des trucs odieux qui ne sont pas remis en question, Robert le Bruce écoute un concert de chant tradi, Edouard II a des complexes d'Oedipe, les écossais gagnent la bataille parce qu'ils se souviennent que la boue existe, les anglais la perdent parce qu'ils ne peuvent rien faire de bien, et puis tout le monde est content. Même pour moi, c'est pousser le bouchon un peu loin, et j'ai pourtant commencé à apprendre l'Histoire dans des manuels français, c'est dire !
Notez bien, cependant, qu'il n'y a rien dans la vie du véritable Robert le Bruce qui sous entende qu'il ait été un personnage particulièrement complexe. Il semble avant tout avoir été un seigneur ambitieux et intelligent ayant vu une opportunité pour s'emparer du pouvoir et avoir mordu dedans de toutes ses forces. Le film ne s'attarde pas sur cet aspect et, pour le peu de personnalité qui lui est donné, il est présenté comme plutôt fermement héroïque, courtois et bienveillant. Ce qui est bel et bon, mais n'apporte pas grand chose au schmilblick. Braveheart (désolé, c'est la comparaison évidente), au risque de trahir l'histoire, lui avait donné de véritables dilemmes et un arc cohérent tout au long du film. Outlaw King, par contre, semble se satisfaire de son protagoniste générique.


Et tout ça nous amène au point central de la question, voir même de tout film historique : si les personnages ne sont pas intéressants, si il n'y a pas de grande idée symboliquement représentée ou de comparaison implicite avec la culture moderne, si même les événements présentés sont plus ou moins acceptés comme tenant plus du folklore que de l'histoire pure et dure, à quoi sert vraiment ce film ?
Attention, je ne me plains pas qu'il existe. Reste après tout de beaux paysages, de grandes scènes de batailles, de jolies musiques et la performance relative d'être plus véridique que Braveheart. Le spectacle n'est pas déplaisant si on accepte de débrancher son cerveau, et le beurre salé qui court dans mes veines n'était pas insensible à l'ambiance celtique qui se dégage de certaines scènes. Mais pourquoi cette histoire ? Pourquoi le récit d'un noble qui décide un jour de monter une rébellion, gagne sa rébellion, et c'est tout ? Le fait qu'il soit un hors la loi ne sert pas vraiment à structurer la trame, et le terme peut de toutes façons s'appliquer pour n'importe quel chef indépendantiste, d'Ahmôsis Ier à Ho-Chi-Minh. Alors pourquoi ?
Ma petite théorie, c'est parce que c'est un sujet sûr. La mainmise d'Edouard Ier sur l'Ecosse était un coup bas politique, tout le monde (qui s'y intéresse) le sait. Voilà. Des héros et des antagonistes tout trouvés. Il y a même déjà eu un film avec les fesses de Mel Gibson à ce propos. Et en bonus, c'est une question morte et enterrée. Si l'Ecosse finit un jour par prendre son indépendance, ce ne sera pas pour des questions d'occupation humiliante d'il y a 7 siècles, mais pour des raisons économiques. Le sujet est fédérateur, et l'idée des fiers septentrionaux se battant pour la liberté bien répandue. Bien plus répandue et fédératrice que d'autres histoires plus récentes de combats pour l'indépendance, qui pourrait déconcerter le public...


Et puis bon, est ce que, parce qu'ils ont envahi la moitié du monde, les anglais méritent vraiment cette image d'oppresseurs ?


Hmmm...

Kevan
5
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le 6 août 2019

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