Sophia Loren fait la poissonnière populaire du port de Sorrente. Offerte aux convoitises permanentes des passants, elle remet en place les importuns, sourit aux flatteries bon enfant. C’est justement de ses charmes dont elle pense user pour convaincre un propriétaire (un vieux beau facilement corruptible) de la garder dans son appartement, et de trouver un poste de gendarme à son amoureux.

La première beauté du film est de plonger les personnages usuels de la comédie italienne dans l’écrin somptueux des mélos de Sirk : cinémascope couleurs, direction artistique sophistiquée, image sublime de l’immense Giuseppe Rotunno à ses débuts. Voilà qui change la donne. Envolée la tendresse des deux premiers volets de Comencini (leur N&B encore néoréaliste), le gentil théâtre villageois est remplacé par le grand spectacle criard et sans pitié de Sorrente, avec une utilisation magistrale de l’écran large, qui fait vivre et respirer tout l’espace social, les arrière-plans, les rassemblements de personnages.

On a reproché aux personnages de verser dans la caricature, mais on peut être sensible au côté plus tranchant et mécanique de Risi. Les archétypes sont assumés, comme des rôles dans lesquels les personnages sont enfermés, que ce soit leur fait (De Sica en vieux beau narcissique) ou celui des autres (Loren en Reine de beauté). La fable est moins sentimentale et plus amère. Risi montre parfaitement, sous la séduction bon enfant dont fait preuve la jolie poissonnière, les ressorts marchands et de classe, la prostitution voilée - c’est bien ce qui la rend folle de rage quand son amoureux lui renvoie cette vérité. Car c’est sa propre décision de se vendre, comme si elle avait intériorisé les personnages usuels joués par Loren : utilisée par ses amis comme appât d’un conducteur pour voler sa voiture (Dommage que tu sois une canaille), par son mari pour séduire les huiles qui l’exonèreront de taxes (Par-dessous les moulins), toujours monnaie d'échange.

Loin de la tendre complicité De Sica-Lollobrigida, la relation De Sica-Loren ne tient que du rapport de forces, et en restera là - mais justement, il y a un fonds de vérité. Seul l’amoureux fera changer notre vieux beau à la fin, pas la belle poissonnière. Elle restera pour lui cet objet sexuel sur laquelle il s’est fixé - le film est d’ailleurs très bunuélien, de la bigote chaudasse à l’épisode de l’uniforme blanc souillé. Il faut toute la « force de frappe » de l’actrice pour faire des scènes de séduction (qui menacent de se retourner en agressions sexuelle) de grands moments jubilatoires. L’extraordinaire prestance physique de Sophia Loren, son aplomb d’acier, sa fière cambrure, sa diction de mitraillette, dressent un rempart contre lequel De Sica, tout en guimauve chaplinesque, échoue inlassablement – l’acteur lui aussi est génial, passant en clin d’œil du cabot enfantin au vicelard éperdu. Les deux font là un duo d’enfer, qui éclate dans un mambo resté à juste titre célèbre. Dans la danse, la joie déborde, lui pour une fois en sous-régime, elle pour une fois livrée à son propre plaisir (de danser). Ils ne le savent pas encore, mais ils feront ensemble tant de grands et beaux films durant les vingt années suivantes…


LunaParke
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