Under the skin. Générations Cronenberg. Matière noire et ...claquettes-chaussettes. La désolation.


"l'homme tisse la corde qui le pendra"



Film assez cru, direct, tout en étant délicat et humain.
Enfin croisé encore grâce à mon arte.
J'ai (peut-être hélas) souvent pensé au professeur Brundle lentement changeant dans 'La Mouche'. Perdant ses cheveux et créant son musée dans sa salle de bains.
Où j'ai ici aimé la scène de miroir: après avoir changé son pansement, noir comme le sang dans le récent 'Titane', elle se regarde fixement et se rapproche de son reflet, comme si elle cherchait à détecter un autre changement en elle, à voir une autre.
On l'entend presque penser: "suis je encore moi?" 'Voit-on dans mes yeux que je change?"
C'est aussi la manière dont Scarlett Johansson s'ausculte et se (re)découvre dans 'Under the skin' où elle sent qu'elle change et où elle travaille aussi dans une univers de matière noire.


Je l'ai déjà revu en partie et je crois que je le préfère sans sa musique.
Ma seconde fois, il me fait penser à ma désormais forte émotion au début, pourtant de fêtes assez joyeuses, dans 'Voyage au bout de l'enfer', car on sait ce qui va arriver aux personnages.
On connait le 'châtiment' et malheur qui les attendent. Causés par une 'doom'sday machine à la Dr Strangelove.


Un très beau film universel qui va au delà de son sujet nucléaire: il est aussi sur les conséquences indirectes et mortifères d'avoir un malade dans la famille. Je pense à la scène où son aidante découvre que sa protégée perd ses cheveux et ça l'a rend elle-même encore plus malade.
Ce film rappelle qu'un cancer peut avoir une forme de 'contagion' psychosomatique sur les proches.
C'est hélas là où mon sale esprit, pollué aussi , a repéré les claquettes chaussettes de la gentille dame tombant au sol. Alors que j'étais ému. Sans doute un mécanisme de défense.


Mécanisme de défense, comme les micro moments de comédie et surtout de solidarité du film.
Je pense à la scène où le guerrier traumatisé arrête à nouveau un véhicule pétaradant qui l'insupporte, mais cette fois, tous les voisins, témoins et même passagers (avec réticence) finissent par jouer le jeu et rentrer dans son univers pour le soulager et diminuer son anxiété.
Ce jeux de rôle des aidants est devenu une thérapie officielle: des asiles et maisons alzheimer l'utilisent en Angleterre. C'est la thérapie qu'on croise aussi dans le 'Don Quichotte' de Terry Gilliam
où on découvre que le vieux, rendu fou par le tournage, parfois revit le personnage
et a alors été aidé par tous les villageois, qui rentraient dans son jeu pour lui laisser finir en sécurité sa crise psychotique. Comme ici.


Ces scènes soulagent de le tension due à cette épée de Damoclès au dessus des rescapés: "Cancer! à qui le tour?" titrait le livre du docteur en promotion télé joué sur scène par Albert Dupontel.
D'autres scènes qui, en plus de la chasse au mari, rappellent parfois Molière: notamment les dialogues entre la veuve et les pécheurs qu'elle soupçonne de fainéantise.


Ces mini scènes de comédie soulagent un temps des horreurs dont ils se souviennent, notées dans leurs journaux intimes.
Avec les fils électriques qu'ils évitent, les brûlés et les corps fondus, leur traversée de la ville détruite fait notamment penser à un escape game sur le thème des créatures et horreurs de Cronenberg, Lovecraft, voire Beckett pour la femme tronc qui s'agite au fond, façon 'Oh les beaux jours'...


Quelle bonne idée de scène, cette pêche finale qui commence comme un Renoir, bucolique, un rêve, un tableau et finit en 'Vol au Dessus d'un nid de coucou', déclenché par un poisson heureux et bondissant hors de l'eau.
J'aime les changements de tons dans une scène.
Et quelle belle idée (volontaire?), cette 'pluie' ou neige, mais cette fois blanche, voletant et flottant autour du personnage en crise psychotique!
Ces flocons qu'elle déclenche en agitant la nature à côté d'elle, font un peu penser aux méduses flottantes de la dépression chez Resnais ou la scène aussi de joie à l'oreiller percé dans 'Zéro de Conduite' de Jean Vigo.


Ce poisson joyeux fait écho à ses congénères croisés plus tôt et moins heureux au fond d'un seau, cette fois en bord de voie ferrée, utilisés comme poches de sang...
Sur la beauté de la nature ruinée, on croise aussi des crabes, anguilles, "carassins, chevesnes, alevins"(?) et des poules.


Ces poissons soi-disant poches de sang sont à rattacher aux autres maigres moyens dont ils disposent pour se battre contre le mal qui les ronge(ra): dont l'aloès, soi-disant "plante remplace-médecin", offerte par le ...médecin. Ils ont aussi des voyantes, médium et autres croyances dont celle dans les rumeurs et les fake news. Comme par exemple, "Les filles de l'éclair sont stériles"...Et les filles de l'aurore sont des pécores?


Et quelle bonne idée visuelle aussi lors de l'info entendue à la radio qu'un dirigeant envisage "d'utiliser à nouveau" cette solution assez finale mais sur un autre pays. On voit alors sur ses paroles en radio, en premier plan la tête affligée de l'auditeur, mais aussi tout au fond du champ, en ombres , l'aidante et la contaminée. La parole belliqueuse du décideur illustrée par ses conséquences indirectes.
Scène qui n'est pas sans me rappeler les doubles focales de mon De Palma: un personnage au premier plan clair et un autre au fond, mais clair aussi.
C'est là que le vieux sage murmure que décidément , l'homme n'apprend obstinément pas de ses erreurs et "tisse la corde pour se prendre".


Et quelle émotion de finir sur un pensée magique, si enfantine, mais un peu 'pansement sur une jambe de bois'. C'est lorsque le sage regarde s'éloigner l'ambulance au loin à l'horizon avec à bord l'amoureux devenu simplet car traumatisé par la guerre, serrant la main de sa cancéreuse.
L'oncle souhaite un vrai arc-en-ciel, bon présage, vraiment multicolore, sans doute avec moins de bleu Tcherenkov...
Amélie Poulain et Mathilde d'Audrey Tautou et Jean Pierre Jeunet seront superstitieuses comme ça:



"Si un arc-en-ciel apparait, là-bas,
alors elle guérira"


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le 1 sept. 2021

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PierreAmo

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