Je tiens à préciser, avant toute chose, que cette critique n'est en aucun cas diffamante. Le ton volontairement cru ne s'attache qu'à rendre compte et à souligner les exagérations dont souffre l'intrigue et la représentation des personnages.

Car Precious est un film foncièrement déroutant, qui tiraille son spectateur entre deux sentiments contraires. D'une part, une admiration profonde pour la performance exceptionnelle des deux actrices principales, Gabourey Sidibe (Precious) et Mo'Nique (sa mère), oscarisée à juste titre pour son rôle de marâtre infâme et révoltante. D'autre part, l'insupportable et permanent pathos du scénario, entièrement basé sur une surenchère mélodramatique qui culmine dans le trash le plus abject. Plus on avance dans la pauvre vie de la pauvre Precious, plus on s'enfonce dans les abysses d'une horreur sociale et psychologique à faire pâlir les créateurs de Saw et de Hostel réunis.

La protagoniste accumule tout ce qui en Amérique est considéré, encore aujourd'hui, comme source de disgrâce. Elle est grosse, noire, analphabète et pauvre. Qui plus est, elle se fait violer régulièrement par le paternel, lequel, en passant, lui fait une gosse trisomique et un fils qu'elle va tenter de préserver de l'emprise maléfique de sa mastodonte de mère, qui la tabasse à tout va en la traitant de nullarde quand elle entend causer études. La mère de Precious, accrochée comme une enragée à ses sacro-saintes allocs, joue la comédie devant les assistantes sociales. Affamée comme une truie, mais trop flemmarde pour faire elle-même sa tambouille, elle n'hésite pas à réduire sa fille à un ingrat esclavage culinaire, lui faisant bouffer des kilos de pieds de porcs dégoulinant de graisse quand elle les rate.

Vous vous croyez arrivés aux extrêmes limites du sordide, détrompez-vous ! C'est loin d'être fini. Non content d'avoir mis sa fille en cloque deux fois, le père lui a refilé son sida, dont il meurt à peu près à la moitié du film, dans l'indifférence la plus totale. Precious, condamnée, abattue, démolie par la misère absolue à laquelle se résume son destin, se raccroche plus encore aux cours d'alphabétisation que lui donne une prof lesbienne adorable (après tout, on s'était peut-être gourés, nous les Américains, peut-être bien que les gays sont sympas...), et on en rajoute encore une couche avec la venue au monde du deuxième rejeton consanguin, qui donne lieu à un grand moment de vérité lacrymale, au cours duquel la mère confesse sa douleur, la souffrance de ne pas avoir été aimée assez par son mari (trop occupé à engrosser sa propre fille), allant jusqu'à accuser Precious de lui avoir volé son « mec ».

Honnêtement, il faut bien reconnaître que de telles réalités, aussi sordides soient-elles, existent. En Amérique, comme ailleurs. Et on ne peut que les déplorer. Le destin de ces filles-mères, victimes de leurs familles de dégénérés et d'un univers social en ruines, est scandaleux, c'est un fait. Mais c'est un fait trop réel pour concerner le cinéma, qui, rappelons-le, doit rester avant tout un art. Pas une tribune de la bassesse humaine. Rien d'artistique ici, pas la moindre trace de traitement cinématographique. Lee Daniels se trompe sur toute la ligne. Ce n'était pas une fiction qu'il fallait faire, mais un documentaire, rageur, révolté, engagé, proposant des solutions plutôt que de se complaire dans l'illustration pathétique. Résultat : on atteint les cimes d'un nihilisme social. Pas d'espoir à l'horizon. Et ce n'est pas le plan final, montrant Precious entourée de ses deux enfants, qui réconforte. Ni les séquences de rêves (aussi faux que des pubs L'Oréal) où elle s'imagine être une star adulée, enfin aimée. On la sait condamnée. Irrémédiablement fusillée par les lois d'un monde pourri jusqu'à la moelle.

Une question se pose alors : est-ce un film sincère ou un produit racoleur jouant à fond la carte du misérabilisme larmoyant ? Le slogan qu'on peut lire sur l'affiche en dit long : « Elle a bouleversé l'Amérique... » Les larmes sont tellement plus faciles à verser que la colère et la révolte. On s'apitoie, on plaint, on s'afflige, on s'attriste, on compatit. Mais finalement, on ne fait rien. Absolument rien.

Où la passivité tragique d'une Folcoche des bas-fonds rejoint les névroses d'un système malade de suffisance, d'orgueil et d'inconscience. Sur ce terrain là, Precious est une effrayante réussite.
TheScreenAddict
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le 7 août 2010

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