Ce qui frappe en premier lors de la vision de Ran c’est sa magnificence visuelle. Le résultat découle directement du travail préparatoire fait par Kurosawa sur tous les plans. En effet, chaque cadre du film est pensé comme un tableau où l’élément souhaité est mis en valeur. Pour cela, le réalisateur s’appuie notamment sur l’utilisation de télé-objectifs (très longues focales) comme à son habitude. Ce qui permet d’écraser les perspectives et d’intégrer les personnages au décor. L’un n’allant pas sans l’autre, Kurosawa filme les interactions entre eux, l’influence de la nature sur l’homme et l’utilisation qu’en fait ce dernier. De plus, talent de peintre oblige, la couleur est mise en avant de manière hallucinante, chaque armée ayant son propre code et chaque décor ou costume étant soigneusement placé pour la composition des plans. Grand réalisateur, on oublie trop souvent sa véritable qualité d’artiste, comme le montrait 15 ans auparavant Dodes’Kaden et son utilisation magique de la couleur. Le tout est ici accentué à travers le sang qui coule à flot lors des batailles, rouge vif, et la fumée des arquebuses qui vire au rose. Ce sont de véritables chorégraphies colorées que dessine Kurosawa à l’aide de sa caméra.
Pourtant loin du réalisateur nippon l’idée de fabriquer une image dénuée de sens. La première séquence sur les montagnes est là pour nous rappeler son génie de metteur en scène. Kurosawa joue sur deux échelles. Il nous présente d’abord le seigneur de guerre, ses fils et ses anciens adversaires au sommet d’une montagne, loin de toute activité humaine, chassant et évoquant la succession. Ils sont ramenés à des figures mystiques, dans un décor abstrait quasi-divin, isolés du monde, pratiquant une activité noble et ancestrale. Alors exposés en plein soleil, au zénith, métaphore de leurs vies, les querelles qui éclatent annoncent les rancœurs et guerres à venir. Se prenant pour plus qu’ils ne sont, ce sont avant tout des hommes, et Kurosawa n’hésite pas à nous le rappeler à travers ses plans larges magnifiques, où ces humains paraissent si petits, pensant diriger un monde qui est finalement trop grand, trop complexe et trop vaste pour eux. C’est ce dernier qui annoncera leur fin et non l’inverse.
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