Rarement un Remake n’aura déchaîné à ce point les passions avant même sa première diffusion. Ce film, visiblement personne ne voulait le voir, au point tel que la majorité de la promotion orchestrée par la production fut de préciser à quel point il dépassait l’original dans les thèmes qu’il abordait. Pendant un mois nous avons donc arrêté de parler de RoboCop comme un film badass avec un flic moitié-homme moitié-robot qui arrache la gueule des gangsters dans des gerbes de sang, pour évoquer la satire sociale, la peinture caustique de notre société de consommation et les dérives qu’elle engendre. Un sous-texte évidemment présent dans le film original de Paul Verhoeven, mais était-ce une bonne idée pour ce remake d’avancer de telles ambitions ?
Dans un futur proche où l’Amérique domine le Golfe Persique à l’aide de robots de combat, au pays l’opinion publique est partagée quant à une utilisation de cette force de maintien de la paix sur le sol américain. Le Sénat interdisant une force de police « non-humaine », la multinationale OmniCorp (l’OCP quoi) entreprend de créer la symbiose parfaite entre l’homme et la machine afin de faire pencher l’opinion publique et de s’ouvrir ainsi les portes du colossal marché américain. De son côté, l’officier de police Alex Murphy est victime d’une tentative de meurtre lors de son enquête sur des flics ripoux à Détroit.
Pour être honnête avec vous, quand j’ai vu que c’était José Padilha qui était en charge de réaliser ce remake, j’ai osé rêver. Le réalisateur brésilien étant reconnu dans la sphère du documentaire avec des peintures difficiles de l’ultra-violence dans son pays, je me suis dit « Okay, Columbia veut faire son District 9 avec le nouveau RoboCop, j’achète ! « . J’imaginais déjà les bas-fonds de Détroit ressemblant aux favelas de Rio, cette narration docu-fiction mêlant misère sociale et trip SF, avec en point central cette arme à la croisée de l’homme et de la machine. Disons le tout de go, j’ai déchanté.

Soyons clair, qu’on touche à un mythe de mon enfance, ça ne me choque pas. Si RoboCop doit devenir un film de gros studio, soit, je range mes attentes dans ma poche et débranche mon cerveau pour mater un IronMan-like, un blockbuster bourré d’effets spéciaux et de blagues cabotines avec un mec dans un costume qui défouraille les méchants dans une suite incohérente de séquences d’action. Et bah ma bonne dame, c’est même pas le cas ! C’est pourquoi il m’est très difficile de poser une critique claire et concise sur ce film, car j’ai le sentiment qu’il s’éparpille dans différents thèmes, sans jamais véritablement choisir une identité, ce qui en fait un « produit » étrange, particulièrement fade, sans pour autant en être désagréable. Ce RoboCop a ses propres enjeux, sa propre thématique, et en cela il est intéressant à regarder même pour quelqu’un ayant usé jusqu’à la corde la bande magnétique de sa VHS du film de Verhoeven. La place de la robotique au sein de la société américaine, d’un point de vue à la fois éthique et politique, est une piste narrative que je trouve intéressante et qui pouvait mettre en lumière un excellent rapport de force entre les multinationales et le pouvoir exécutif d’une Nation, aussi puissante soit elle. Dans le même ordre d’idée, débuter le film dans un reportage télé à Téhéran dans une scène ressemblant étrangement au premier acte de Metal Gear Solid 4, c’était à la fois couillu, peu édulcoré, et très intéressant dans la manière de présenter le sujet du film : Sommes-nous prêt à faire sur notre sol ce que nous faisons subir aux « ennemis de notre liberté » ? Toujours dans le registre « bonnes idées du film », j’ai adoré l’idée de ce nouvel OCP, ersatz d’un Apple spécialisé dans le transhumanisme. RoboCop est un produit, pensé d’après une étude de marché pour plaire au public. Il n’est pas la solution de l’OCP pour un quelconque projet « Delta City », mais juste un vaste plan de communication pour ouvrir le marché extrêmement juteux du sol américain à la robotique militaire.
Et mine de rien ce détail change toute la philosophie autour de RoboCop, qui n’est plus la figure iconique d’un protecteur voué à la salvation d’une cité gangrenée par le crime, mais la métaphore de l’homme dépendant de la machine au sein d’une société de consommation high tech où le « cool » l’emporte sur la morale. En tant que spectateur, qui plus est fan du film original, cette nouvelle orientation a de quoi me plaire, puisque Padilha peut ainsi surprendre par ses choix et apporter à cette figure iconoclaste une réflexion intéressante (d’un brésilien en plus) sur la société américaine contemporaine. Et, bien malheureusement, il semble que les studios n’aient à aucun moment laissé J.Padilha s’exprimer dans sa réalisation. C’est incompréhensible, tout simplement; je ne comprends pas pourquoi on va chercher le réalisateur de Troupe d’Élite pour lui demander de nous servir de la soupe. Hollywood ne regorge-t-il pas déjà d’une tétrachiée de YesMan à qui on va couper toute velléité artistique sans qu’ils s’insurgent?? Dans ce cas-là, okay, faites nous un simple film d’action à la con, mais qu’on arrête de se cacher derrière une pseudo réflexion sur le transhumanisme et ce qui fait de nous des êtres humains.
Une des intrigues du film de Verhoeven concernant RoboCop était de savoir s’il restait un peu de Murphy au fond de cette machine. Lors de sa conception, le réalisateur mettait l’accent sur le fait qu’il ne restait rien de ce qu’était autrefois Alex Murphy, une idée largement soutenue par la mort ultra-choquante du héros, et l’absence poignante de sa famille. Ce n’est que par la suite, par petites touches, qu’on comprend qu’il reste quelque chose de Murphy, jusqu’à son cauchemar où RoboCop se souvient de son propre meurtre, et décide de partir dans une vendetta contre ses meurtriers. Il y avait dans ce film une idée très précise de ce qu’était RoboCop, comme la phrase géniale à propos de sa famille qu’il n’a jamais pu revoir : « Ils sont présents en moi ». Tout était dit ! RoboCop était une machine qui se souvenait avoir été autrefois un homme, et la bonté d’âme de cet homme mort influe sur les décisions du robot. Dans la version 2014, Murphy reste Murphy. À aucun moment RoboCop n’est pensé comme un robot, mais comme un humain maintenu en vie par la robotique, et jouissant des mêmes avantages tactiques que les robots militaires de l’OCP. Il n’y a donc aucune véritable évolution dans ce personnage, puisqu’il ne cesse jamais vraiment d’être Alex Murphy (il est d’ailleurs plus souvent appelé Murphy que RoboCop dans le film), la seule évolution vient de la présence constante de sa famille dans l’histoire, et du fait que, j’ai même du mal à l’écrire : « Peu importe si tu es plus une machine qu’un homme, tu es avant-tout un père ». Je suis désolé mais c’est là la seule morale que j’ai comprise à la fin du film, car finalement tout le reste relève de la mise en situation, de l’enrobage, de la geekerie bas-de-gamme pour Apple-maniacs.

Il y a beaucoup de gâchis autour de ce film, ça se ressent même dans certaines scènes, avec des sous-intrigues évoquées mais jamais développées; comme le fait que Murphy perd son libre arbitre lorsque sa visière se baisse, le rendant ainsi « passager d’une machine sans en avoir conscience ». On nous le dit une fois, puis plus rien jusqu’à la fin du film, et ce n’est jamais ramené dans l’évolution du personnage, puisque les scénaristes ont eu l’idée débile de mettre un bouton de mise en veille à RoboCop. Oui, vous avez bien lu. RoboCop peut être désactivé par simple pression d’un bouton dès qu’il désobéit aux ordres de l’OCP…. Donc même si Murphy voulait lutter contre son programme, de toute façon il se fait désactiver par ses patrons. C’est débile ! On est à des années lumières de la géniale « Directive 4? du film original, qui apportait déjà un sacré rebondissement dans l’intrigue, mais avait également le mérite de fixer une règle claire au personnage. Ici, cette directive est remplacée par un bracelet que portent les humains pour être « intouchables » face aux robots, et même là les scénaristes violent leur propre règle en outre-passant cette contrainte sans aucune véritable justification scénaristique ! Tout au plus se laisse-t-on convaincre par bonté d’âme que Murphy prend l’ascendant sur la machine, que l’âme humaine est plus forte que le programme ? Mais de toute façon Murphy n’est à aucun moment un robot dans le film ! Donc évidemment qu’il est plus fort que la machine puisqu’il n’en est pas une !! Si vous rajoutez à cela cette nouvelle visière qui ne s’active que pour les gunfights, vous avez un RoboCop visage découvert pendant la majorité du film, sans aucune blessure au visage alors qu’il a survécu à un attentat, et le terme est important puisque Murphy n’est finalement jamais mort en action, ce qui implique qu’il n’y a donc aucun concept de renaissance du héros.
Alors je n’ai vraiment aucun problème à ce que Lewis soit un homme, que les ED 209 ressemblent à des Metal Gear Rex (il est d’ailleurs amusant de se dire que Metal Gear sur MSX est sorti un an avant le premier RoboCop), ou que les show télé de Samuel L Jackson soient à ce point caricaturaux, mais il y a un très gros problème : Détroit. À aucun moment on ne ressent un sentiment d’insécurité dans Détroit. Ce n’est absolument pas la zone, il n’y a pas de grand criminel sans foi ni loi comme Clarence Boddicker qui terrorise la ville et les forces de police… De plus, avec son look black et sa nouvelle moto, RoboCop lorgne sur les plate-bandes de Batman, mais Gotham City est tellement plus craignos que le Détroit de RoboCop 2014, qu’on se dit qu’à l’heure actuelle Murphy est en train de faire la circulation devant une école primaire. Ça remet d’ailleurs en question tout le principe du film, à savoir le besoin de doter les forces de police de robots militaires sur le sol américain; pourquoi en avoir besoin si la société ne sombre pas dans le chaos?? C’est pour ça que je suis sorti à ce point frustré de ma séance, parce qu’il y a des germes de bonnes idées dans ce film; il y a là des orientations qui étaient foutrement intéressantes pour un remake, et quand tu sors de la salle, tu réalises qu’il y a pire que des bonnes idées qui ne sont pas exploitées : il y a les bonnes idées pas exploitées qui interfèrent entre elles pour ne nous laisser dans la bouche que le goût amer d’une production chaotique et d’un réalisateur muselé qui est sorti de son tournage déprimé. À avoir cherché à se donner des atours complexes d’un blockbuster futuriste qui pose un débat sur la société, RoboCop s’est planté et a en plus oublié d’être un bon film d’action. C’est un film propre mais sans saveur où gravitent des bribes de bonnes idées mais qui ne collent pas ensemble quand elles ne se contredisent pas. RoboCop n’est pas une daube, qu’on soit bien d’accord. Mais le thème principal de Poledouris ne changera pas le fait que vous sortirez de votre séance sans avoir assisté à la naissance d’une figure emblématique du cinéma d’action. C’est finalement l’opération inverse des films Dredd qui s’est produit. Là où le premier RoboCop était un film transgressif et Judge Dredd un actionner à la con, RoboCop est devenu un blockbuster tout mou et Dredd un actionner couillu et sans concession. Préférez donc le film de Pete Travis à pas cher en DVD, ça sera bien plus agréable.
Hollywood doit avoir un problème avec Paul Verhoeven, je ne vois que ça. Starship Troopers, Basic Instinct, Total Recall, et maintenant RoboCop, ça devient suspect là. Sans doute était-ce à cause des précédents exemples que ce remake de RoboCop a souffert d’une si mauvaise presse, si tôt dans sa fabrication. C’est pourtant dans ce genre de configuration que peut sortir LA bonne surprise, mais à aucun moment le film de José Padilha n’interpelle ni ne stimule son spectateur. Ce RoboCop n’est ni un petit film transgressif, ni un blockbuster formaté et pétaradant. Noyé entre deux eaux, on ne parvient ni à s’attacher à cette histoire, ni à foncièrement la détester. C’est son plus grand échec : il provoque l’indifférence.
Anfalmyr
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le 7 févr. 2014

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