12 ans après Mémories of Murder, Shim Sung-Bo et Bong Joon-Ho sont de nouveau réunis au scénario, pour ce huis clos dramatique en pleine mer. Depuis leur première collaboration, Bong Joon-Ho construit une filmographie impressionnante avec aussi The Host, Mother et Snowpiercer, entre autres. Il est aussi à la production pour permettre à son ami, de mettre en scène son premier film.


Le film démarre comme un drame social, avec ce commandant et son équipage, tentant de survivre grâce à la pêche. Mais le cinéma sud-coréen aime le mélange des genres et offre des moments plus légers, face aux situations dramatiques, qui se déroulent sous nos yeux. On rit de ce commandant trompé sous ses yeux, par sa femme et qui semble s’accommoder de cette situation. Il faut dire que son navire est plus précieux pour lui, que sa femme, malgré son état de délabrement et sa difficulté à le tenir à flots. Mais dans un monde qui évolue constamment contre les gens pauvres, par le biais du FMI, qui est pointé du doigt à plusieurs reprises. Il va devoir franchir la ligne pour garder son navire, en acceptant de transporter des clandestins chinois. Ils paient chers pour avoir une chance d'améliorer leurs vies et celles de leurs familles, restées au pays. La misère est devenue une manne financière, dont des hommes sans scrupules en font le commerce, en perdant tout sens moral face à l’appât du gain.
Kim Yun-Seok campe ce commandant prêt à tout pour son navire, un acteur intense, qui avait déjà marqué les esprits dans l'intense et sombre thriller The Chaser, puis dans The Murderer. Il domine une distribution, en manque de personnages forts, malgré le jeune Park Yu-Chun, qui va devenir son adversaire. Le vieux briscard qui n'attend plus rien de la vie, face au jeune marin naïf, tombant sous le charme d'une clandestine Han Ye-Ri et prêt à tout pour la protéger de son commandant, comme des autres marins, frustrés sexuellement et qui vont être perturbés par la présence de celle-ci et d'une autre passagère. L'homme est faible face à la beauté d'une femme, surtout que la misère sociale, engendre aussi celle sexuelle et son système de réflexion se résume, à se retrouver entre les cuisses de ces clandestines, au risque de mettre leurs vies en danger.
Le film est plus réussi dans sa première heure, en alternant les scènes dramatiques, d'humour et de tension, dont le chargement des clandestins est un moment intense. Mais la romance est convenue, les échanges entre les deux "amoureux" affaiblissent l'histoire, on se retrouve dans un remake de Titanic, avec aussi une montée de la violence typique de ce cinéma-là. On passe d'un genre à un autre et cela dessert l'histoire, malgré des moments dramatiques, rendant l'atmosphère de plus en plus étouffante. En tant que huis clos, cela devient de plus en plus oppressant, surtout avec l'arrivée de cette brume, qui masque l'horizon. Ce navire semble fragile dans cette mer calme, face aux cargos qu'il est susceptible de croiser. L'équipage est aussi fragile, ce sont surtout des pêcheurs et en devenant des passeurs, ils font face à des événements, qui les dépassent, surtout que les clandestins semblent avoir l'expérience de ces traversées. Deux mondes s'affrontent en ce lieu restreint et face aux difficultés, le racisme refait surface, tout comme les rancoeurs. La violence devient le seul moyen de se faire comprendre, ses hommes sont rustres pour le plupart, même si un instituteur se trouve parmi eux. Le commandant prend le rôle du dominant, il défend sa "terre" et fait appel à ses instincts les plus primaires, pour garder le contrôle et se faire obéir. Il instaure la peur, avant de s'enfoncer encore plus dans un état psychologique, proche de la folie.
Même si l'évolution est intéressante, avec une réalisation s'adaptant aux changements de rythmes et d'ambiances, aussi bien dans la salle des machines, la cale ou le pont, en sachant se renouveler, malgré un lieu unique et réduit. Sa seconde partie reste moins passionnante, en laissant libre cours à une violence suggérée ou visuelle, constamment plomber par cette romance, manquant de saveur. On ne s'ennuie pas, mais on ne se passionne plus pour ces hommes. On s'est détaché d'eux, de l'histoire et sa fin conventionnelle et prévisible, ne l'aide pas à renouer avec la réussite du début.


Shim Sung-Bo ne réussit pas entièrement ses débuts derrière la caméra, mais il démontre une capacité à devenir l'égal de son illustre ami Bong Joon-Ho. Avec des personnages plus profonds et en ne rendant pas sa romance mièvre, le film aurait gagné en intensité, le rendant plus captivant.

easy2fly
5
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le 2 avr. 2015

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Laurent Doe

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