Prenez un réalisateur de génie, un scénario puissant, des comédiens, en état de grâce, un choix musical que l'on avait pas vu aussi brillant depuis Kubrick, une photographie sans fausse note et des démons que chaque être humain, quel que soit son sexe, sa race, son obédience politique ou religieuse, se doit d'exorciser, et vous obtenez Shutter Island, un chef-d'œuvre sur la folie et ses différentes origines.

Autant le dire d'emblée, on prend une claque monumentale au sortir du dernier long métrage de Martin Scorsese. Comme dans la grande majorité de son œuvre, la rédemption est au cœur même du film, mais elle atteint cette fois une force que l'on pourrait qualifier d'ultime. Sans trop en révéler, et ce n'est pas une mince affaire, on dira que l'intrigue policière basique sous forme d'enquête n'est qu'un prétexte pour fouiller très loin dans les tréfonds de ce qui fait l'âme humaine, exactement comme dans Mystic River de Clint Eastwood, autre adaptation d'un roman de Dennis Lehane. Le film fonctionne comme un électrochoc révélateur, comme un miroir implacable fait d'une multitude de faux-semblants, à tel point que l'on peut légitimement se poser la question si les erreurs de raccords, de débutant au premier abord, ne sont pas foncièrement voulues. Par sa mise en scène inspirée, Scorsese joue sur l'être et le paraître sans arrêt, perdant à la fois son personnage et ses spectateurs dans des méandres infernaux. Il nous offre des images d'un tel magnétisme que certaines des scènes de Shutter Island seront longtemps gravées parmi les plus atrocement magnifiques jamais imprimées sur pellicule, et grâce à ce film il nous rappelle qu'il fut un temps où lui et Steven Spielberg échangèrent leurs projets, The Schindler's List contre Cape Fear.

Di Caprio réalise ici une performance magistrale à fleur de peau qui le place indéniablement dans le cercle très fermé des meilleurs comédiens de tous les temps. Il joue la douleur comme jamais en faisant exploser littéralement une gamme étourdissante de sentiments tous plus forts les uns que les autres. Face à lui, une brochette de comédiens magnifiques se voue entièrement à l'intrigue en faisant vivre des personnages parfaitement écrits qui passent tour à tour de manipulateurs à manipulés, à moins que cela ne soit l'inverse.

La photographie signée Robert Richardson restera longtemps une référence en la matière par son aspect très thriller, à la limite du film d'horreur, donnant toute sa rage à la tempête qui balaie Shutter Island, atteignant des sommets dans la séquence de l'orage avec ses éclairs d'une blancheur immaculée. Les décors de Dante Ferretti vont dans le même sens grâce à un réalisme terrifiant comme pour les flashes back ou le cœur labyrinthique de la prison. On notera aussi le sublime travail de Robbie Robertson dont la collaboration avec Scorsese atteint ici son apogée et l'on saluera leur choix de ne pas avoir eu recours à une partition originale pour mieux transcender des œuvres existantes de manière aussi riche que parvenait à le faire Kubrick.
RemyD
10
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le 11 oct. 2010

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