Malick a une telle constance qu’il force, d’une certaine manière, le respect. Au point que l’irritation générée par ses opus précédents et sa prolixité ne suffisent pas à faire une croix sur cet auteur, dont la persévérance dénote une foi et une sincérité qui questionnent.


Rien n’a donc changé : les voix off, ce principe de distance qui s’est accru sur A la merveille et surtout Knigt of Cups, un récit fragmentaire, de longues séquences de passivité visiblement improvisées, des plans de nature, le tout dans un collage à la vertu supposément hypnotique qui nous conduirait vers la grâce.


Les a priori sont d’autant plus justifiés que bien des éléments assez irritants du précédent opus sont ici reconduits : cette fascination répulsion pour les grandes demeures luxueuses et le sexe gentiment déviant, toujours avec de jeunes et splendides femmes, au point qu’on se questionne sur la dimension fantasmatique de ce que Papy Malick prétend in fine fustiger par un discours moraliste d’une lourdeur qu’on ne lui connaissait pas.


Car si l’on s’en tient à la seule dimension narrative du film, le constat est rude : madame se suicide parce que son mari l’entraîne dans des plans à trois, et le deuxième couple comprend les méfaits de la civilisation du spectacle rock n’roll en faisant s’allonger Ryan Gosling dans un champ de fraîches pousses après avoir trouvé un vrai métier dans le BTP, avec des vrais gens simples qui construisent des choses solides.


Une trilogie s’achève : le prochain Malick sera plus narratif, et retournera du côté de la seconde guerre mondiale. La voyage ne fut pas sans détours (Une durée initiale de 8 heures, trois ans de montage), et l’ambition mystico-philosophique trébuche à plusieurs reprises.


Question casting, Malick n’a rien perdu de sa vertu magnétique. Au quatuor tête d’affiche le plus glamour du moment, il ajoute par fragments toute la hype de la scène rock, de Patti Smith à Iggy Pop, en passant par Flea, Johnny Rotten et Lykke Li. C’est amusant, mais peu substantiel, tant ces micro caméo se noient dans un montage parcellaire et saturé d’ellipses.


Car à y regarder de plus près (et Malick nous en donne le temps, sur ces 130 minutes), quelques modulations dans son esthétique permettent de distinguer une évolution par rapport aux dérives précédentes. Le grand angle déforme davantage les visages, l’instabilité semble plus consciente, comme s’il refusait qu’on puisse s’installer dans l’atmosphère d’une séquence, particulièrement en ce qui concerne la musique, qu’elle soit rock ou classique. Le lyrisme est ici malmené, entrecoupé, et laisse surgir un autre type d’émotion.


Les personnages, qu’on voit davantage, et dont les voix off délaissent un peu les aphorismes trop universels qu’on les entend débiter de coutume, parlent à la première personne. Surgit alors une quête de l’intimité, un questionnement sur l’identité qui se construit (souvent par les voies de traverses de l’autodestruction), et sur les possibilités d’échapper à ses élans. Les personnages de Rooney Mara et de Ryan Gosling se trouvent ainsi dans une dialectique du spontané qu’ils méprisent et de l’effort qu’ils appellent de leurs vœux. S’expliquerait ainsi cette tonalité générale du film, ce rythme syncopé, qui cherche à reproduire dans sa forme le travail opéré par les protagonistes sur leur propre psyché.


Ainsi du personnage satanique incarné par Michael Fassbender, et qui reprend celui de Bale dans Knigt of Cups, de la même façon que Cate Blanchett rejouant son rôle d’idylle éphémère : la perdition, la souillure, sont certes au cœur du contemporain qu’évoque Malick, (notamment par ce retour incessant au concert à Austin dont on ne verra que des bribes), mais sa quête est dans son pendant sublime. On le sait depuis bien longtemps, le cinéaste quête les bribes du sublime en ce bas-monde, et le fait dans Song to Song avec une modestie nouvelle.


La séquence durant laquelle Rooney Mara ouvre la bouche et les oreilles de Gosling pour apercevoir son âme en atteste. C’est par le jeu, l’oisiveté, l’errance et le rapport à l’autre que se formule la découverte de sa part de grandeur (voire de divin). Par la présence du corps au monde et l’interaction avec l’autre.


C’est là le cœur du projet de Malick, et force est de constater qu’il illustre comme personne ce miracle indicible du sentiment d’exister. Qu’il obtient de ses comédiens une intimité, une spontanéité, une beauté qu’aucun autre cinéaste ne parvient à faire émerger. Que les échos graphiques de cette fusion, aussi fugace soit-elle, entrent en résonance avec les mouvements de steadicam et une vision de la nature sublimée par le toujours aussi talentueux Emmanuel Lubezki, au profit d’un poème en prose certes exigeant, mais à même de révéler de profondes et discrètes vérités.


(6.5/10)

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le 24 juil. 2017

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Sergent_Pepper

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