Sous les étoiles de Paris par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Critique éditée le mars 2023

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Il est difficile de donner un âge à Christine, SDF. Elle erre dans son "territoire" de Montmartre et des environs immédiats au sein d'un monde particulier toujours résigné, parfois agressif et qui fait que l'avenir est muré pour eux.
La vie de Christine est elle aussi sans espoir. Elle attend que ça passe, que toute cette interminable séquence se termine: la solitude, la lutte éternelle du soir pour trouver un coin pour s'assoupir en attendant la première heure du jour, celle où l'on vous vire. Seules quelque photos dans une poche lui rappellent furtivement sa vie antérieure avec peut-être du travail mais aussi peut-être un enfant. Bref c'est du passé jauni par le temps, les malheurs et le désespoir.
Toujours à la recherche d'un coin pour une toilette sommaire, d'une babiole en échange de quelques pièces pour manger, Christine traîne sa carcasse pour ne pas souffrir du froid, ne pas se faire attaquer par d'autres SDF.
Conséquence de ce supplice quotidien, le langage n'est devenu que grognements ou brèves paroles de désespoir. Pourtant un événement va changer son "activité quotidienne". Un petit garçon, Suli , fait le siège du "refuge'" de Christine. Ce gamin qui ne parle pas un mot de français mais arrive tout de même à se faire comprendre, a été séparé de sa mère lors de la destruction d'un camp illégal de réfugiés à Paris. Ils sont issus de l'Érythrée , l'un des pays les plus misérables de la planète.

Dans cet univers glauque d'un quartier de Paris dans lequel se regroupent toutes sortes de femmes, d'hommes déglingués par l'existence, de gens complètement en marge de la société, nous suivons la routine d'une femme enfouie sous ses oripeaux ne demandant rien à personne. Pourtant, un jour une lueur va paraître.
La lueur, c'est Suli, ce petit garçon étranger arraché brutalement à sa maman lors d'un ordre de rapatriement d'étrangers. L'enfant, resté seul et désemparé, erre dans la ville immense. Dans sa misère, dans sa peine, il aperçoit Christine et dès lors, malgré la réticence presque bestiale de celle-ci, le petit garçon parvient à l'apprivoiser.
Tout n'est pas simple. Il va falloir un long moment pour que la vagabonde accepte cette compagnie, trouve un instinct quelque peu maternel et se rende utile pour une tâche presque insurmontable, retrouver la maman de Suli destinée à être évacuée vers son pays d'origine.
C'est alors qu'un vrai jeu de piste va s'engager afin que l'enfant puisse retrouver sa maman.
L'aéroport de Roissy devient alors un lieu d'espérance mais peut-être un lieu de solitude pour Christine et les quelques photos, trace d'une vie familiale qu'elle n'a peut-être encore pas tout à fait oubliée.
Comme dit justement le texte de Jean Renoir dans sa chanson" La complainte de la Butte":
"Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux"... et même sous les étoiles étincelantes.

Jean Drexel qui réalisa notamment "Affaire de famille" en2008, film auréolé par beaucoup de critiques réserve à nouveau une belle surprise.
Ici le sujet est intéressant et malheureusement bien réel. J'ai aimé dans ce film le fait que le réalisateur nous oppose un Paris que l'on croit de loin une ville de rêve avec ses beaux quartiers, ses coins typiques et notamment Montmartre avec ce Paris indigne et "caché" .
C'est vrai, elle est encore belle la Butte, ils sont encore magnifiques les quais de Seine pour les touristes, mais le "Paris by night", le Paris de carte postale n'est pas accessible à tous, loin s'en faut. Certes les étoiles brilleront toujours sur la capitale mais sur la misère qui elle aussi tente de survivre dans la grande ville.
C'est moins beau à quelques centaines de mètres du "Sacré-Chœur" au pied de la butte où tentent de s'entasser les paumés qui se "consument" petit à petit dans des recoins des jolies berges de la Seine. Le Bois de Boulogne a aussi son charme mais lui également parvient à "cacher" des endroits moins flatteurs.
Tout cela est très bien démontré par le réalisateur qui nous fait découvrir l'image de Paris que l'on ne devrait plus voir, ici comme ailleurs.
Alors peut-être trouverons-nous quelques incohérences dans cette œuvre mais peu importe. Ce film a pour but de montrer le mauvais côté de la réalité de tous les jours, celle qui n'empêche pas les étoiles de briller alors qu'elles devraient être en berne devant de tels drames humains qu'on qualifie "d*'ordinaires*". Les images finales de cette œuvre sont à mon avis très subjectives.

Catherine Frot est ici extraordinaire dans le rôle très ingrat de cette SDF qui ne fait que survivre et qui tout à coup parvient à être utile à une cause sensible . Rien n' échappe dans son talent d'artiste. Suli, Mamadou Yaffa est très émouvant et très naturel dans son personnage de gamin fragilisé, perdu, abandonné et coupé de ses origines, tentant malgré tout de survivre en essayant de trouver une bonne âme. Il faut noter également la participation de Dominique Frot.

J'ai donc eu un coup de cœur pour ce film parce qu'il nous fait passer par des endroits où nous n'avons pas forcément le courage d'aller et découvrir des semblables brisés par les aléas de la vie. Et pourtant ces "oubliés" ont peut-être connu une vie meilleure mais l'existence réserve parfois des drames dont elle seule a le secret.
C'est pour cela que je mets une très bonne note à ce film injustement ignoré et sous-estimé tout et méfions-nous des belles cartes postales. Il y a parfois un revers moins séduisant.

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Box-Office France: 56 546 entrées

Ma note: 8/10

Créée

le 2 janv. 2024

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