Si Ben-Hur n'existait pas j'aurais pu qualifier Spartacus de péplum ultime. Malgré un Kubrick qui prend le tournage en cours de route après négociation d'un joli salaire et qui n'a donc pas pu marquer de sa patte l'amont, toutes les étapes de la pré-production qui lui sont chères, il réussit à sublimer la matière scénaristique qui lui est donnée et à pondre pour la première fois un film à sa démesure.
Il serait vain de s'arrêter, de se braquer sur les invraisemblances historiques du scénario et dans un élan d'intransigeance d'en conspuer le résultat au risque de passer à coté de ce qu'il comporte de majesté. Faire de Spartacus, ce gladiateur esclave à la révolte sanglante et parfois cruelle, un saint homme, touché par la grâce, à mi-chemin entre Moïse et le Christ, mis en croix au lieu de tomber les armes à la main, est une approche non dénuée de sens. Cette tentative de faire de Spartacus un premier Christ, Christ païen en quelque sorte, cent ans avant l'original, avant l'incarnation ultime, est de nous familiariser avec quelques concepts simples et élémentaires, la liberté et la bonté.
Kirk Douglas incarne à merveille ce Christ-Rambo des Inconnus, ni trop frêle, ni trop bodybuildé par des méthodes de musculation que devait passablement ignorer l'antiquité, il ne répond que de sa gueule, charismatique et tenace pour mener la révolte.
L'ensemble du casting ajoute à la valeur du film, Peter Ustinov est hilarant en penaud homme ordinaire, Charles Laughton, marmoréen et supérieur, Laurence Olivier, Jean Simmons et Tony Curtis, demi-éphèbe et interlocuteur de l'éternelle métaphore de l’huître et de l'escargot.
Pour conclure, du péplum de qualité, magnifié par un Kubrick de combat, au service d'une œuvre qu'il n'assumera jamais totalement malgré l'exigeant travail qu'il aura fourni, le meilleur de lui-même.
Spartacus, premier communiste, premier anti-esclavagiste ou premier Christ, la boite à fantasme du héros de la troisième guerre servile trouve un débouché synthétique dans le film de Kubrick. N'en restait plus que l'exploitation commerciale, le fils de Spartacus et autres dérivés, regrettant amèrement qu'un excentrique italien n'ait pas eu la riche idée de tourner Spartacus contre Dracula.
Samuel d'Halescourt